Emmanuel Hirsch, professeur d'éthique médicale, nous propose un ouvrage puissant pour comprendre au plus profond ce que signifie qu'être gravement malade. Il analyse la maladie dans ses dimensions de douleur physique, d'exclusion sociale, de redéfinition de soi, de confrontation à la mort mais surtout, et plus fondamentalement, dans ce face à face avec la souffrance qui touche chacune des dimensions de l'être.
Dans la confrontation à la maladie grave, une personne se métamorphose en effet sans le vouloir, et de manière souvent abrupte, en patient enfermé dans une chambre d'hôpital. Le cours habituel de la vie percute de plein fouet l'incompréhensible et l'inéluctable. Comprendre cette destruction de l’identité, cette annihilation d’une certaine définition de soi, la confrontation aux changements du regard des autres sur soi, mais aussi du sien propre, renvoie, tant le malade que le soignant, à la réalité fondamentale de ce qui se joue dans l'ici et le maintenant.
La maladie renvoie de fait à une question essentielle : qu’est-ce que vivre ? Non pas dans le questionnement philosophique qui pourrait nous enfoncer dans un verbiage trop précieux pour être le reflet d'une quelconque réalité, mais dans l’aptitude fondamentale à dépasser sa condition, à se réinventer. Lorsque la définition qu'on avait jusqu'alors de sa vie s'effondre, cette question devient très pragmatique. « Aucune expérience antérieure ne prépare ou ne prédispose à la confrontation avec la maladie. S'efforcer d'en cerner les apparences, ces premières expressions d'une présence inquiétante, ce n'est pas comprendre ce qu'elle signifiera et révélera à l'épreuve d'un impensable qui déroute toute anticipation » écrit l’auteur.
La maladie renvoie de fait à une question essentielle : qu’est-ce que vivre ?
A l’épreuve de « la vérité »...
Ce livre nous conduit alors dans la réalité d'un ressenti. Qu'il soit vécu par le malade ou par le soignant, toute la force du travail de l'auteur consiste à trouver des mots pour aider à donner sens à la radicalité de la situation. Qu'il s'agisse de la maladie d'Alzheimer, de la sclérose latérale amyotrophique ou du SIDA, ces pathologies chroniques à l'évolution quasi inéluctable, il est question, à chaque fois, d'une conscience individuelle confrontée à l'innommable. Les mots proposés sont alors là pour entrer en relation, pour partager et ainsi recréer du lien. Le livre regorge donc de phrases denses qui témoignent de la profondeur d'un vécu et d'une réflexion empirique. Ainsi, à titre d'exemple, lorsqu'il évoque « l'imminence d'un ''pire'' », l'auteur décrit quelques constantes d'un ressenti confronté à l'irrémédiable : « L'épreuve de la vérité nue, indécente, invivable, inacceptable en fait tant elle meurtrit et déshumanise, est avivée par le constat de l'extrême pauvreté des possibilités médicales, d'approches certes sensibles, attentionnées mais tellement démunies dans leur exposition à une menace absolue. En ce domaine s'impose la perception de réalités disproportionnées, qui échappent aux logiques, à la rationalité et contraignent soit à la posture de résistance soit à l'errance jusqu'au bout, ne serait-ce que pour tenter d'échapper, en prenant des distances, à cette fatalité qui s'abat sans que puisse être envisagé le moindre recours ».
Il s'agit de cela dans ce livre. De parler de la maladie qui envahit tout, de la vie qui cherche un nouveau sens et de la mort qui s'approche. Et c'est là un autre mérite de l'ouvrage. Il parle de la mort d'une façon simple, élémentaire. Ainsi, l'auteur part du constat que, si nous en avons la connaissance, aucun d'entre nous ne sait véritablement qu’il va mourir. Pour ce faire, nous avons besoin d'une confrontation directe avec la mort et notre finitude. Ainsi, la différence entre l'angoisse un peu tabou de tout un chacun et le sens profond de l’imminence de sa propre mort tient dans la confrontation concrète, dans la sentence sans appel qu’elle représente et dans la présence continue d'un compte à rebours implacable.
La puissance de la maladie tient alors paradoxalement dans le potentiel humain qui peut, s'il réussit à se redécouvrir dans son authenticité, savourer l’importance et le merveilleux de chaque instant. Il s'agit là d'un des points forts du livre d'Emmanuel Hirsch. Le Beau dans la rencontre avec la mort ? La rencontre de la vie par la rencontre de la mort ? Pour atteindre cette dignité fondamentale de l'homme regardant son aboutissement, encore faut-il dépasser ce sentiment profond d’une trahison fondamentale, d’une injustice essentiel que fait abattre la maladie sur soi. Peut-être qu’au-delà du pensable on peut trouver une autre partie de soi, plus fondamentale… « Nous voilà dès lors impliqués dans un champ de vérités insoupçonnées, un espace d'humanité où s'expriment et se partagent avec pudeur, retenue, respect et honnêteté ce que chacun détient de plus précieux, de plus profond. Il importe d'en témoigner, ne serait-ce que pour restituer du sens, de la valeur, de l'importance plus que de la gravité, à cette traversée dans la maladie qu'il convient de vivre ensemble »
« Peut-être qu’au-delà du pensable on peut trouver une autre partie de soi, plus fondamentale… »
Un livre pour aider les accompagnants à comprendre la maladie
C'est dans cette confrontation au réel que ce livre parle aux soignants et aux aidants. D'ailleurs l'auteur leur exprime dès les premières pages sa profonde reconnaissance en disant : « je ne connais pas le langage qui exprime en vérité l’hommage que je souhaite rendre à tous ces veilleurs soucieux de l’essentiel en ces moments de grande vulnérabilité. »
Dans une époque où le soin se définit par la tarification à l'acte, comment faire pour être véritablement là pour le malade, pour l'accompagner dans les derniers pas de sa vie avec toute la compréhension, tout le sacré et toute la présence qui lui convient ? Avoir accès à ce que signifie pour un être humain de vivre avec une maladie incurable permet au soignant de donner sens à chacun de ses gestes. Et surtout, de sortir de la banalisation de ces actes répétés dans le quotidien d'une profession pour les réentendre dans la gravité des yeux du patient qui les vit pour la première fois. C'est ainsi que le rôle de soignant prend toute sa grandeur.
Les soignants et les aidants sont confrontés à la condition humaine la plus crue et leur donner des outils pour les aider à travailler avec elle fait partie des objectifs annoncés de l'auteur. Ainsi, il explique qu'« au-delà des formes et des expressions du handicap, c'est la caractérisation concrète de ce qui limite l'homme, de ce qui le conteste dans son humanité mais aussi de ce qui le révèle dans ses dimensions les plus subtiles, qui pose en des termes spécifiques les principes comme les conditions de notre vie en société. Il convient dès lors d'être à la hauteur d'une confrontation et davantage d'un défi qui touchent à la signification de l'interdépendance et plus encore de l'interrelation ». En d'autres termes, par le handicap, les bases de la vie en société sont remises en question et c'est à l'accompagnant que revient le défi d'aider le patient à définir une nouvelle relation entre eux.
La dignité humaine requiert ce travail de conscience pour que l’empathie soit aussi vraie que respectueuse. C'est la dimension sacrée du travail de soignant. Ce livre parle de tout ça, de cette véritable éthique qui tend vers le dépassement des apparences, d'un attachement à certaines définitions pour s'ouvrir à d'autres plus humaines et plus nobles.
Pour finir
La deuxième partie du livre, « Les mots de la maladie » est un abécédaire de concepts clés du rapport soignant-soigné dans la confrontation avec la maladie. Elle correspond à la substantifique moelle de la première partie. La définition d’idées fortes comme l’humanité, la fragilité, l’étrangeté, l’intimité, le secret, le souci de soi, l’effroi ou encore la mort sociale. Ce « petit traité d’éthique pour temps de maladie » permet de clore le livre sur une ouverture à une réflexion personnelle. Les récits de vie et messages de l'auteur laissent place à des concepts plus fondamentaux pour que chacun puisse associer ces termes avec sa propre expérience.
Au final, au travers de ce livre, la rencontre avec la maladie conduit à une rencontre avec soi-même, que l'on soit soigné, soignant ou aidant À lire et à relire.
- Hirsch E., La maladie entre vie et survie, suivi de Les mots de la maladie, Edition de Boeck, 2013, 231p.
Cyril JOANNES
Rédacteur Infirmiers.com
cyril.joannes@izeos.com
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