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AU COEUR DU METIER

"Intégrer les ESI dans le plan blanc, oui, mais pas pour faire le travail à la place des IDE !"

Publié le 26/03/2020
Valérie Pécresse

Valérie Pécresse

Suite à l'appel aux étudiants en soins infirmiers lancé le 25 mars par la Présidente de la Région Ile-de-France, Valérie Pécresse, un infirmier réagit vertement, et s'interroge, en ces temps troublés d'urgence sanitaire lié au coronavirus. Rémunérer des ESI au tarif presque équivalent à celui des infirmiers diplômés, c’est soit payer beaucoup plus que le salaire des aides-soignants, soit exiger par ce contrat que des étudiants en soins infirmiers portent les responsabilités et fassent le travail d’infirmiers diplômés. A moins, ajoute-t-il, que la vraie révélation pour les infirmiers de ce pays, par l’annonce de ces tarifs pratiqués par la Présidente de la Région Ile-de-France, c’est que leur diplôme ne vaut rien !

Dans une courte vidéo relayée par un tweet le 25 mars, la Présidente de la Région Ile-de-France Valérie Pécresse faisait la promotion du site renfort-covid.fr lancé par l’ARS en s’adressant aux 15 000 étudiants en soins infirmiers de la région confinés chez eux, les enjoignant à rejoindre l’hôpital pour lutter contre la pandémie : La Région débloque des fonds, 1330 euros net pour les élèves de 1ère année, 1530 euros net pour les élèves de 2ème et de 3ème année, alors je vous le demande, venez nous aider à sauver des vies.

Il y a trois jours, faisant suite à une salve de récriminations d’étudiants en soins infirmiers sur les réseaux, je répondais au tweet de l’une d’entre elles, Khad, qui se plaignait que le gouvernement utilisait l’étiquette de stage pour ne pas être rémunérés . Après quelques échanges, j’avais alors compris que son IFSI lui demandait de rejoindre la réserve sanitaire s'ils voulaient valider leur stage interrompu pour cause de pandémie, à 1,42 euros de l’heure. Je l’avais orientée vers la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (FNESI) qui a pris le relais depuis.

Je ne fais pas partie des infirmiers qui sont touchés par les applaudissements du 20h. Parce que je sais qu’ils sont la manifestation tout à fait convaincue que nous méritons une fois de plus des remerciements par une population affolée qui nous oubliera dès qu’elle sera tirée d’affaire. Nous n’avons que ça depuis des années, une tape sur l’épaule, des "merci" anonymes en pagaille, un dédouanement collectif qui n’empêche pas les violences sur les personnels soignants aux urgences, les infirmiers libéraux agressés, le refus de prendre en compte les suicides des soignants comme maladie professionnelle, le mépris du Président de l’Assemblée Nationale Richard Ferrand le 18 février dernier lorsqu’il avait refusé de faire une minute de silence après l’assassinat 5 jours auparavant de l’infirmière Elodie Multon , l’indifférence avec laquelle nous dénonçons les conditions de travail de milliers de nos collègues, depuis tellement longtemps que vous trouvez que l’on se plaint tout le temps.

Des récits de cet acabit, la FNESI en reçoit des dizaines par jour en ce moment. Des appels et des mails d’étudiants infirmiers mis en première ligne dans la lutte contre le coronavirus, au bout d’à peine un an d’étude, à des salaires dérisoires.

La situation des étudiants en soins infirmiers clarifiée dans les prochains jours ?

Des étudiants qui rapportent aussi que là où ils ont été affectés, ils n'ont qu'un masque pour toute la semaine, ou aucune protection parce qu’elles vont en priorité aux 'vrais' soignants, se désole Felix Ledoux, le président de la Fnesi. Une situation des étudiants soignants qui devrait être beaucoup mieux encadrée sous peu. Un décret autorisant la réquisition des élèves infirmiers va paraître dans les prochains jours, et il définira notamment leurs horaires et leur rémunération, prévient le président de la Fnesi


Alors oui, en plein scandale sanitaire où nos hiérarchies se démènent pour trouver les moyens de nous protéger (notre Directeur a récupéré 300 masques lundi en nous donnant un sacré bol d’air), on peut se questionner sur l’apparition d’un or de farfadet qui va être débloqué pour engager des étudiants en soins infirmiers pour renforcer les hôpitaux parisiens. Si la France manque de personnel aujourd’hui, c’est que la norme qui consiste à maintenir un ratio soignant-soigné intenable en temps normal, ne peut qu’exploser en tant de crise, quand un nombre de professionnels de santé vont être mis de côté parce qu’infectés ou simplement décédés parce qu’on aura décidé de faire des économies sur le matériel stratégique.

Bien sûr qu’il faut intégrer les étudiants en soins infirmiers dans le plan blanc en cours. C’est un moment unique pour toutes celles et ceux qui sont volontaires pour participer à ce qui, on le souhaite, ne se reproduira plus. Mais pas pour faire le travail des infirmiers à leur place. Il y a quantité de choses à faire dès la 1ère année d’étude validée. Les étudiants peuvent, dès l’été qui suit, travailler légalement comme aides-soignant. C’est la loi. Et l’univers des soignants sait que nous avons besoin de leur travail à chaque minute. Pour peu qu’ils soient engagés, qu’ils aient un contrat et qu’ils soient rémunérés au même tarif que les aides-soignants débutant leur métier. Pas sous la forme cachée d’un "stage".

Rémunérer des ESI au tarif presque équivalent à celui des infirmiers diplômés (200 euros séparent ce salaire net du mien avec 3 ans et demi de DE), c’est soit payer beaucoup plus que le salaire des aides-soignants, soit exiger par ce contrat que des étudiants en soins infirmiers portent les responsabilités et fassent le travail d’infirmiers diplômés.

On peut d’abord se demander ce qui motive le choix de Valérie Précresse de ne pas faire de distinction entre les ESI de 2e et de 3e année. Il y a pourtant des mois et des mois d’expérience, de travail et d’autonomie qui les séparent. Rémunérer des ESI au tarif presque équivalent à celui des infirmiers diplômés (200 euros séparent ce salaire net du mien avec 3 ans et demi de DE), c’est soit payer beaucoup plus que le salaire des aides-soignants, soit exiger par ce contrat que des étudiants en soins infirmiers portent les responsabilités et fassent le travail d’infirmiers diplômés. Je souhaite bien du courage à la FNESI et à l'Ordre National des infirmiers quand il faudra prouver les glissements de tâches et l’exercice illégal de la profession. A moins que la vraie révélation pour les infirmiers de ce pays, par l’annonce de de ces tarifs pratiqués par la Présidente de la Région Ile-de-France, c’est que leur diplôme ne vaut rien. Que toute la réforme de 2009 qui a conduit à l’universitarisation de la profession était un leurre. Que les heures et les heures de formation sur trois ans peuvent être balayées par l’intérêt supérieur de la nation. Comme le droit de manifester sans se faire éborgner, celui de défendre les droits des femmes sans se faire gazer, le droit de ne pas avoir à justifier de ses choix alimentaires en matière de boisson hyper sucrée auprès des forces de l’ordre.

Alors que le Président de la République promet un plan massif d’investissement et de revalorisation des salaires pour l’hôpital, après des années de casse par les gouvernements successifs, nous ne pouvons que douter de ses promesses, continuer à enfiler nos pyjamas mal taillés et retourner au boulot. C’est ce que je ferai demain dans ma toute petite clinique du sud de la France, qui se prépare depuis le début du Plan Blanc avec une énergie communicative. J’ai la chance de travailler avec une équipe médicale, paramédicale et administrative qui met tout en oeuvre pour se préparer à faire sa part. Et je souhaite tout le courage du monde à toutes les équipes sur le pont dans le Grand-Est, sur Paris et dans tous les services qui voient exploser les cas de COVID-19.

Et comme dirait la dame de la Météo : “surtout, prenez bien soin de vos ESI”.

InfirmiereporteR


Source : infirmiers.com