Le 18 juillet 2019, le Conseil d’État, saisi par le gouvernement, a validé le projet de loi relatif à la bioéthique. Présenté en Conseil des ministres le 24 juillet 2019, il sera soumis au Parlement dès la rentrée pour un vote prévu en octobre.
À la suite de nombreuses consultations ainsi que de la publication des rapports émanant de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, du Conseil d’État, de l’Agence de la biomédecine et enfin du Comité consultatif national d’éthique, un ultime rapport parlementaire, rendu public le 15 janvier 2019 a constitué le dernier acte de la phase consultative de révision de la loi avant soumission au gouvernement.
Les pouvoirs publics avaient également pris acte de l’opinion des Français, qui ont pu s’exprimer sur les sujets concernés dans le cadre des États généraux de la bioéthique, de janvier à avril 2018. Cette consultation a fait apparaître des divergences significatives concernant notamment les conceptions de la vie, les conditions d’interventions sur le vivant (du point de vue des techniques de diagnostic génétique et de modification de l’embryon), la filiation dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation (AMP, ou PMA − procréation médicalement assistée), et les capacités en neurosciences d’inférer sur les libertés individuelles.
Comment cette diversité de points de vue est-elle traduite dans ce projet de loi, troisième révision des lois du 29 juillet 1994 ?
Évolution de l’accès à l’assistance médicale à la procréation
Le projet de loi s’ouvre sur le domaine le mieux connu par le public, le plus polémique également, qu’est l’assistance médicale à la procréation dans ses incidences sur la famille.
En permettant l’adoption, la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a consacré la famille homoparentale. Le projet prend acte de ce mouvement de société en ouvrant l’AMP aux couples de femmes et aux femmes célibataires, supprimant ainsi la condition d’infertilité diagnostiquée. Ce faisant, il transforme l’AMP, jusque-là exclusivement médicale, en une technique sociétale.
S’ensuit une série de propositions destinées à l’établissement de la filiation des enfants conçus par recours à un don de gamètes ou d’embryons, dans l’objectif affiché de sécuriser leur filiation.
Tenant compte de l’émergence publique de la parole des personnes conçues par AMP exogène (ou AMP « hétérologue », qui fait intervenir un tiers donneur, via un don de spermatozoïdes, d’ovocytes ou d’embryon), ainsi que des possibilités de recours direct sur Internet aux tests d’ADN permettant d’identifier sa lignée familiale, le projet de loi crée un droit d’accès aux informations relatives aux donneurs.
À l’article 16-8 du Code civil est ajouté un article 16-8-1 qui, tout en maintenant le principe d’anonymat entre donneurs et receveurs, permet à la personne majeure conçue par don de matériels génétiques d’accéder (à sa majorité) à l’identité du donneur ou du tiers donneur. L'alternative pour l’instant envisagée rend d’autant plus incertain le contenu du texte définitif. Soit le descendant pourra accéder à l’identité du donneur dès lors que celui-ci y aura expressément consenti au moment de son don. Soit l’accès aux données sera soumis au consentement du donneur au moment où sera formulée la demande.
L’autoconservation des gamètes en dehors de toute indication médicale est admise tant pour les hommes que pour les femmes, dans des conditions bien déterminées.
Enfin, l’AMP post-mortem reste proscrite, et ce alors qu’une décision du Conseil d’État avait pu être analysée comme une ouverture (recommandation de lever l’interdit sur le transfert d’embryons et l’insémination post mortem avec les gamètes prélevés avant décès du mari).
Un encadrement des innovations biomédicales
Aussi importants que soient les changements intervenant dans l’extension sociétale des pratiques de l’AMP, ils ne doivent pas masquer d’autres aspects du texte, qui s’attache à l’encadrement des innovations dans l’ensemble des secteurs de la biomédecine.
Ainsi, les conditions d’accès à la greffe sont optimisées, notamment par l’accroissement des possibilités de don croisé d’organes qui permet de maximiser les possibilités de surmonter les obstacles de l’incompatibilité biologique.
La transmission d’une information génétique en cas de rupture du lien de filiation biologique ou d’impossibilité pour une personne d’y consentir est également favorisée par diverses dispositions. En cas de diagnostic établissant une anomalie génétique chez un tiers donneur, l’article 9 prévoit que la personne chez qui l’anomalie est diagnostiquée peut autoriser le médecin à en informer le centre d’AMP. Ainsi, les personnes issues du don (ou les titulaires de l’autorité parentale en cas de personnes mineures) pourraient être informées. Par ailleurs, l’article 8 permet un examen génétique d’une personne hors d’état d’y consentir, dans l’intérêt des membres de sa famille potentiellement concernés.
Un article vient aussi enrichir le chapitre du Code civil consacré à l’imagerie cérébrale, nouvellement intitulé « De l’utilisation des techniques d’imagerie cérébrale », dont l’utilisation reste limitée à des fins médicales, de recherche scientifique ou, de façon plus restreinte, judiciaires. Le cadre juridique de la recherche apparaît actualisé.
Le régime de la recherche sur les cellules souches, désormais distinct de celui applicable à l’embryon, est assoupli. Les protocoles conduits sur des cellules souches embryonnaires ne sont plus soumis qu’à une simple déclaration auprès de l’Agence de la biomédecine. La durée de développement des embryons sur lesquels une recherche est conduite est fixée à 14 jours, la pratique limitant actuellement cette durée à 7 jours.
La création d’embryons chimériques (mélangeant cellules humaines et cellules d’une autre espèce) est expressément interdite, de même que toute expérimentation visant à la modification de la descendance par la transformation des caractères génétiques.
Situation des enfants nés par GPA à l’étranger et fin de vie médicalisée : deux absentes
Deux thèmes attendus, à savoir la situation des enfants nés par une gestation pour autrui (GPA) réalisée à l’étranger et la fin de vie médicalisée, ne sont pas abordés par le projet de loi.
Cette absence ne peut être qualifiée de lacune, car ces problématiques relèveraient davantage de l’éthique que de la bioéthique. Elles font en effet appel à notre responsabilité collective vis-à-vis des plus fragiles en dehors de toute application technologique.
Les enjeux de la fin de vie sont traités dans une législation spécifique qui elle même a évolué : loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
De nouvelles règles pour une « bioéthique à la française » ?
Le projet de loi actuel est construit autour de 7 titres. Leurs intitulés, loin d’être sèchement scientifiques, attestent de la volonté de promouvoir les possibilités technologiques dans le respect des valeurs qui ont fait cette « bioéthique à la française », reposant sur les grands principes relatifs au corps humain : dignité, respect de l’intégrité de la personne, consentement, non-patrimonialité…
Le Titre I, par exemple, dont l’ensemble des dispositions se rapportent aux questions inhérentes à l’assistance médicale à la procréation, vise à élargir l’accès aux technologies disponibles sans s’affranchir de nos principes éthiques
. On peut aussi citer le titre II, relatif aux dons d’organes, de cellules et de tissus ainsi qu’à la transmission de l’information génétique, qui a pour objectif de promouvoir la solidarité dans le respect de l’autonomie de chacun
.
Cette exigence se retrouve affirmée à travers chacun des sept titres structurant le projet, le dernier étant consacré aux techniques législatives. L’attachement des rédacteurs du projet aux grands principes relatifs au corps humain ressort du rappel fréquent des articles 16 à 16-8 du Code civil, qui constituent en quelque sorte notre constitution relative à la bioéthique
.
Des modifications y sont cependant apportées. Parfois dans le sens d’un durcissement, comme dans le cas de l’article 16-4 relatif à l’intégrité du corps humain (modifié pour faire obstacle à toute expérimentation visant la transformation des caractères génétiques dans le but de modifier la descendance
), parfois dans le sens de l’extension, notamment par l’ajout de l’article 16-8-1 créant un droit d’accès aux origines.
Cette révision de la loi de bioéthique du 7 juillet 2011 est particulière en ce sens que les frontières entre les territoires de la bioéthique (médecine et biologie) et ceux d’autres domaines ont perdu de leur netteté. Les innovations disruptives dans le champ de l’intelligence artificielle conditionnent par exemple désormais les pratiques biomédicales en génomique, neurosciences et imagerie.
L’extension du concept de bioéthique à des domaines de la recherche scientifique qui ne relèvent plus seulement de la médecine ou de la biologie est prise en compte par le Titre VI du projet de loi, Assurer une gouvernance bioéthique adaptée au rythme des avancées rapides des sciences et des techniques
. Les missions du Comité consultatif national d’éthique seront à ce titre étendues aux conséquences sur la santé des progrès de la connaissance dans tout autre domaine
.
À lire aussi : Podcast : Pour mieux comprendre les débats sur la bioéthique
Pas de plan B pour le devenir de l’être humain !
Ce projet de loi connaîtra des transformations au fil des navettes parlementaires. Toutefois, dans ses lignes générales il semble préfigurer les règles de la bioéthique pour les 5 à 7 prochaines années. Il témoigne de l’attachement aux valeurs susceptibles de concilier les promesses d’avancées biomédicales avec le souci d’anticiper et d’accompagner leurs conséquences.
On constate l’acceptabilité progressive de pratiques qui suscitaient hier de fortes résistances (ouverture de l’AMP aux couples de femmes, droit d’accès à leurs origines pour les personnes conçues par dons de gamètes, recherche sur l’embryon…), la concertation publique contribuant à l’exigence de pédagogie dans un domaine complexe. Dans le Titre IV « Soutenir une recherche libre et responsable au service de la santé humaine, le chapitre Ier est caractéristique de ces évolutions : Aménager le régime actuel de recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires
.
Ce projet de loi permettra-t-il d’endiguer le phénomène du « tourisme bioéthique », certains allant chercher en dehors de nos frontières ce que le droit français leur refuse ? Rien de moins certain. Cependant, ce texte est respectueux des principes fondamentaux nationaux et internationaux de la bioéthique et adapté aux évolutions de la société.
Il devrait permettre à la France d’affirmer une position d’autant plus nécessaire que les pratiques de la recherche en biomédecine au plan international semblent faire l’objet d’une inquiétante dérégulation.
Néanmoins, quelle que soit la qualité des travaux préparatoires du projet de loi, rien n’assure que les débats parlementaires ne relanceront pas de vives polémiques. Car la bioéthique est comprise, dans le cadre d’une société sécularisée, comme un marqueur de ses valeurs.
Peut-on viser une forme de consensus social alors que les antagonismes s’enracinent dans des registres d’ordres religieux ou philosophiques parfois considérés comme une forme d’affirmation identitaire ? Une chose est sûre : les responsables politiques sont conscients de la haute sensibilité des « questions bioéthique », dont les arbitrages décideront de la société de demain.
L’actualité traite davantage des conséquences écologiques du réchauffement de la planète que des manipulations du génome avec ses incidences sur les générations futures. Pourtant, comme s’agissant du devenir de la planète, nous ne disposons d’aucun plan B pour le devenir de l’humain !
Valérie Depadt, Maître de conférences en droit, Université Paris 13 – USPC et Emmanuel Hirsch, Professeur d'éthique médicale, Université Paris-Saclay
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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