Plusieurs études avaient déjà démontré que diminuer les postes infirmiers accroissait la mortalité des patients. Des travaux récents suggèrent également que leur satisfaction lors de leur séjour à l'hôpital dépend du nombre d'infirmiers disponibles. De même, un nombre optimal de soignants permettrait de gérer au mieux la douleur des patients.
La vision négative des patients hospitalisés sur leur séjour serait apparemment étroitement liée au manque de personnel infirmier. C'est du moins ce que montre une étude britannique de grande ampleur publiée dans la revue the BMJ Open.
Les travaux, menés par des chercheurs des universités de Pennsylvanie, de Southampton et du King's College de Londres, dévoilent que 60 % des patients sur les 66 348 interrogés trouvent que les infirmiers disponibles pour leur prodiguer des soins n'étaient pas assez nombreux. Pire encore, un répondant sur dix, seulement, estime que le personnel infirmier était suffisant durant son séjour à l'hôpital.
Si, à présent, on questionne les patients sur leur niveau de satisfaction, on remarque une forte corrélation entre leurs réponses et le nombre d'infirmiers en poste. En effet, seulement 14 % des sondés, parmi ceux qui trouvaient que le personnel paramédical était insuffisant, ont jugé les soins excellents contre 57 % chez ceux qui, à l'inverse, pensaient que le nombre d'infirmiers en service était normal. L'argument souvent répété comme quoi les déficits de qualité dans les hôpitaux sont dus à des infirmiers indifférents face aux patients est démenti par les résultats de l'enquête
, souligne le Dr Linda Aiken, un des auteurs. Au contraire, selon la spécialiste, les patients apprécient tellement les infirmières que, lorsque celles-ci manquent, les évaluations globales des patients sur leurs hôpitaux diminuent fortement
.
Une grande étude qui révèle une grande variation dans les effectifs
Il s'agit d'une étude à grande échelle, ses résultats se basant sur un grand nombre de données recueillies lors de l'enquête NHS 2010 qui regroupe un échantillon de 46 hôpitaux et contient les informations relatives de près de 3000 infirmiers. Ces chiffres révèlent, par ailleurs, que la charge de travail des professionnels de santé varie de 5,6 patients chacun à pas moins de 11,6 sur les 46 établissements. Sans surprise, quand les chercheurs ont calculé la probabilité que les patients jugent le nombre de soignants adéquat : il s'est avéré que celle-ci était 40 % inférieure lorsqu'on compte un infirmier pour 10 patients par rapport aux hôpitaux où un soignant s'occupe de 6 personnes. Les disparités des effectifs infirmiers sont énormes dans les hôpitaux NHS. Quand il n'y a pas assez de professionnels, des choses manquent, les patients le remarquent, et cela affecte leur confiance dans la qualité de l'établissement comme des soins qu'ils reçoivent
, suggère le Pr Peter Griffiths, de l'université de Southampton.
L'écart grandissant entre la demande et les capacités engendre des soins non prodigués, associés à du personnel infirmier en sous-effectif, et à des environnements hospitaliers médiocres
Et l'opinion des infirmiers ?
Mais qu'en pensent les principaux intéressés ? L'opinion des infirmiers a également été prise en compte lors des travaux et, apparemment, ils ont l'impression de ne pas toujours faire les soins qui s'imposent par manque de temps. En effet, plus de la moitié estime qu'ils ne trouvent pas un moment pour parler avec le patient et ses proches de la gestion des soins après sa sortie. D'ordre plus général, les deux tiers d'entre eux (65%) jugent ne pas prendre le temps de parler ou de réconforter les malades. La perception des patients reste un baromètre important sur la confiance et la qualité des soins. L'écart grandissant entre la demande et les capacités engendre des soins non prodigués, associés à du personnel infirmier en sous-effectif, et à des environnements hospitaliers médiocres
affirme le Pr Anne-Marie Rafferty du King's College de Londres. Le renforcement des effectifs infirmiers comme du personnel médical sont justifiés pour améliorer la qualité des soins
, conclut-elle.
Gestion de la douleur : les infirmiers indispensables
En parallèle, d'autres travaux récents se sont penchés sur le même problème : l'impact du manque d'effectifs infirmier. Mais, cette fois, les chercheurs du Boston College se sont intéressés au domaine bien particulier qu'est la gestion de la douleur. C'est un enjeu des soins de santé de nos jours
, explique le Pr Judith Shindul-Rothschild, auteure principale de l'étude. Parus dans la revue Pain Management Nursing, les résultats sont clairs et le constat reste identique : la satisfaction des patients en ce qui concerne le contrôle de la douleur est liée au nombre de soignants disponibles. L'équipe de spécialistes a analysé les données provenant d'hôpitaux basés dans les états de Californie, du Massachusetts et de New York, ils en concluent que les infirmiers sont des contributeurs clés
pour soulager les patients au mieux. En outre, ils ont pu remarquer deux autres pistes d'améliorations en plus de pourvoir de nouveaux postes d'infirmiers. Un prescripteur disponible, que ce soit un médecin ou une infirmière de pratique avancée
, est essentiel pour assurer la continuité des soins ». De même, il est crucial de promouvoir une collaboration plus efficace entre les médecins et le personnel paramédical afin d'optimiser les soins.
Les effectifs infirmiers ne sont pas juste associés à la mortalité des patients, cette relation est probablement causale
Sous effectifs et risque de décès pour le patient, les preuves s'accumulent
Alors oui, les infirmiers ne sont pas assez nombreux, c'est un fait. Cela engendre une insatisfaction des patients, mais est-ce que les sous-effectifs hospitaliers ont un effet direct sur leur santé ? Bien évidemment, cela augmente le risque de mortalité, comme le montre des études de plus en plus nombreuses, provenant d'Europe comme d'Outre-Atlantique. En 2015, une étude lyonnaise révélait que le nombre de personnels soignant, quand il dépasse un seuil critique, était associé à la mortalité des patients en soins intensifs . En 2016, une étude européenne publiée par le BMJ Quality and Safety suggère que pour chaque remplacement d’un infirmier par un aide-soignant pour 25 patients, le risque de décès s’accroît de 21% .
D'autres recherches menées par une équipe de l'université de Southampton et publiées dans the International Journal of Nursing Studies estiment que 10 % de soins non effectués correspondent à une hausse de 16 % de la mortalité pour chaque patient après une opération. Ces calculs reposent sur des données provenant d'hôpitaux situés dans neuf pays d'Europe. Or, si ces résultats rapporte un fait connu, ils nous apprennent également quelque chose de nouveau : ils donnent une indication des plus claire que les effectifs infirmiers ne sont pas juste associés à la mortalité des patients, mais que cette relation est probablement causale
, commente le Dr Jane Ball, auteur principal des travaux. Autrement dit, il ne s'agit pas d'une simple corrélation, il y a un lien de cause à effet !
Les infirmières, ce n’est pas banal, ce qu’elles font. Elles donnent des soins, elles « jouent » avec des médicaments, elles s’occupent de gens qui ont des problématiques de santé complexes »
Le Québec a décidé d'agir
Encore une autre étude au Québec menée par les universités de Sherbrooke et McGill qui met l'accent sur cette association entre les effectifs soignants et la mortalité des patients. Mais les résultats montrent aussi que le manque de personnels provoque des soins non faits ou moins bien faits, par manque de temps et d'énergie. Plus précisément, le Pr Christian Rochefort, ancien cadre dans le réseau de la santé, a démontré qu’une augmentation, même marginale, des heures supplémentaires fait grimper les risques de décès.
Celui-ci fait une métaphore originale pour expliciter ses propos : il rappelle qu'il existe des règles de sécurité pour empêcher les camionneurs de conduire au-delà d’un certain nombre d’heures alors que le travail des paramédicaux n'est pas aussi réglementé. Les infirmières, ce n’est pas banal, ce qu’elles font. Elles donnent des soins, elles « jouent » avec des médicaments, elles s’occupent de gens qui ont des problématiques de santé complexes
, argumente-t-il.
Pour l'instant, si on se réfère aux dernières estimations de l’Ordre des infirmières du Québec qui datent de 2014, le ratio des CHSLD du Québec s’élevait à au moins une infirmière pour 20 patients. Pour comparaison, dans les centres de soins de longue durée de la Californie, chaque infirmière doit soigner un maximum de 6 patients le jour et de 12 la nuit. Pour pallier cette situation, le gouvernement québécois va lancer des projets afin de déterminer le ratio optimal patients/infirmiers à appliquer dans les hôpitaux et dans les CHSLD pour réduire la charge de travail des professionnels de santé et, par voie de conséquence, améliorer les soins. Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, a rencontré dernièrement la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), Nancy Bédard, pour organiser cette réforme (cf. encadré "Des projets-pilotes au Québec, mais pas de loi prévue").
De son côté Lucie Tremblay, Présidente de l'Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec (OIIQ) monte au créneau. Il faut des conditions gagnantes pour les infirmières et les infirmiers pour offrir des conditions gagnantes au public
souligne-t-elle, rappelant qu'elle interpelle le gouvernement sur ces questions d'organisation du travail et de souffrance des soignants depuis 2015. Une rencontre à ce sujet est prévue jeudi 1er mars 2018 avec le ministre de la Santé.
Ainsi en Californie, un nombre de patients maximum est imposé aux soignants, au Québec cela va peut-être se réaliser. Et en France, que propose-t-on ? Les représentants professionnels ont déjà largement alertés les tutelles sur cette question des quotas infirmiers qui agit significativement sur la qualité des soins. Mais à l'heure actuelle, seuls certains services particulièrement sensibles comme la réanimation (deux infirmiers pour cinq patients) ou la dialyse (un infirmier pour six patients) sont soumis à ces quotas. La question est d'importance et elle attend donc encore de nombreuses réponses à l'échelle de l'ensemble des services de soins.
Des projets-pilotes au Québec, mais pas de loi prévue
C'est l'actualité chaude du moment au Québec... Afin de régler le dossier sur l'épuisement des infirmiers, le ministre de la Santé québécois, Gaétan Barrette, a annoncé après une nouvelle rencontre avec la Fédération interprofessionnelle du Québec (FIQ) que 16 projets-pilotes seraient mis en place dans les CHSLD, en médecine et en chirurgie à partir du mois prochain et pour une période d’environ cinq mois afin d'estimer au mieux des ratios efficients du nombre d'infirmiers par patients. On peut dire que le ministre a fait des grands pas depuis quelques semaines
, s'est félicitée Nancy Bédard, la présidente de la FIQ. Et pour cause, cette initiative est demandée par son syndicat depuis deux ans. De son côté, le ministre de la Santé affirme que cette révision des ratios mènera forcément à des embauches. Néanmoins, Gaétan Barrette a écarté l'idée qu'une loi pouvait être établie à ce sujet. Est-il possible, par exemple, d’écrire dans une loi, un ratio qu’on aura dans un hôpital pédiatrique versus un hôpital adulte ?
, argumente-t-il. Je comprends la demande des infirmières, mais ce n’est peut-être pas le chemin qui est approprié
. Quand au premier Ministre, Philippe Couillard, il estime que le gouvernement a déployé beaucoup d’argent neuf pour l’accès aux services
au cours des dernières années. Je pense qu’on est mûr maintenant pour faire un effort pour l’ambiance et la qualité de vie au travail pour nos employés du réseau de la santé
.
Enfin, Nancy Bédard, s'est réjouie que l'ordre professionnel « prenne enfin position publiquement sur la crise ». Quant au député de Beauharnois, Guy Leclair, il souhaite que l’Hôpital du Suroît soit retenu par le ministre de la Santé pour l’implantation d’un des projets pilotes visant à déterminer les meilleurs ratios patients-infirmières. À l’Hôpital du Suroît, nous avons le meilleur personnel infirmier qui soit, car celui-ci doit composer avec des taux d’occupation de 300 % à l’urgence et un manque de médecins pour s’occuper des patients à l’interne
, a fait valoir le député du Parti Québécois. C’est un cri du cœur que je lance au ministre Barrette, car on a le meilleur hôpital mais les pires conditions pour travailler. On bat tous les records d’achalandage.
Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com @roxane070
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