"Quelle place de l'infirmier(e) dans la coordination des soins de proximité ?", thématique choisie par l'Ordre national des infirmiers le 16 janvier dernier pour sa première Matinale de l'année. Une place certes prépondérante au coeur du système de santé et de la prise en charge des patients en ville mais qu'il faut encore reconnaître et valoriser. Une opportunité pour y parvenir : le développement des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) au sein desquelles l'infirmier(e) libéral(e) sera un maillon fort.
Coordination... c’est le mot-clé de ce début d’année. Coordination des soins de proximité, de premiers recours, nouvelle organisation des professionnels de santé de ville pour qui est inscrite dans la réforme "Ma Santé 2022" la nécessité de répondre aux besoins de soins et de prise en charge d’une population de plus en plus vieillissante, de plus en plus dépendante, quand elle n'est pas de plus en plus isolée. Le Président de la République a fait en effet de la coordination et de l'organisation des soins de ville un enjeu clé de transformation du système de santé.
L’heure est donc à la nécessité de regroupement pour pouvoir, de façon pluri-professionnelle, s’organiser avec le même niveau de connaissances, d’engagement et de moyens pour proposer une prise en charge des patients de qualité au bon moment et avec les bonnes personnes
, selon Patrick Chamboredon
, président de l'Ordre national des infirmiers. Pour lui, en effet, la coordination est au cœur du métier infirmier. Il faut donc saisir la nouvelle place qui se dessine pour la profession en restant ouvert et force de propositions pour une organisation des soins de proximité novatrice et efficiente
.
Le sujet est particulièrement d'actualité à l'heure où l'organisation de cette coordination prend des formes différentes et parmi elles : les Equipes de Soins Primaires (ESP) et les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) . Rappelons que fin décembre 2018, l'objectif d'au moins 1 000 CPTS avait été fixé par Agnès Buzyn contre environ 200 à l'heure actuelle. Des négociations sur le sujet entre les syndicats des diverses professions concernées et l'Assurance maladie viennent de débuter le 16 janvier pour se clorent idéalement au plus tard vers la fin du mois d'avril, faute de quoi l'exécutif légiférera par ordonnances .
"Ma santé 2022" : parmi tous les projets en cours qui doivent faire vivre cette réforme ambitieuse , la mise en place des communautés professionnels territoriales de santé (CPTS) est jugée prioritaire. L’objectif : arriver à ce que ceux-ci couvrent l’ensemble du territoire d’ici 2021.
L'enjeu est d'importance et cette coordination des soins de proximité demandée fondamentale. Est-elle consensuelle, partagée par l'ensemble des professionnels de santé convaincus que l'idée de se regrouper devient essentielle pour mieux soigner ? Médecins, infirmiers, dentistes, pharmaciens, sages-femmes, kinésithérapeutes, biologistes, maisons de santé, centre de santé, services de soins infirmiers à domicile… sont concernés et cela fait beaucoup de monde à convaincre et pas mal de cultures professionnelles à faire évoluer. Pour Patrick Chamboredon, il ne faut pas voir les CPTS comme une organisation qui serait concurrentielle, qui priverait chaque professionnel de sa liberté de panser (et de penser!). Bien au contraire, il nous faut voir l'aspect positif en direction des patients pris en charge au quotidien et 365 jours par an au domicile
. Et de poursuivre : les infirmiers libéraux sont des coordonnateurs-nés, c'est l'ADN de leur coeur de métier. Leur place, leur rôle, au sein des CPTS s'inscrit donc en toute logique et il faut qu'ils s'en emparent
. Inutile donc de rappeler que les infirmiers libéraux sont ici en première ligne, car la continuité des soins et la nécessité de se coordonner avec médecins traitants, pharmaciens et bien d'autres professionnels de santé, ils la vivent déjà tous les jours, parfois de façon naturelle, parfois aussi de façon moins fluide... La reconnaissance serait-elle bientôt au rendez-vous, voire la valorisation, y compris financière ? La question reste posée à l'heure où les négociations conventionnelles
entre les syndicats représentatifs des infirmiers libéraux et la CNAM ont repris.
Les infirmiers libéraux sont des coordonnateurs-nés, c'est l'ADN de leur coeur de métier. Leur place, leur rôle, au sein des CPTS s'inscrit donc en toute logique et il faut qu'ils s'en emparent"
De nouveaux modèles sont à inventer en matière de coordination des soins de proximité
Michel Varroud-Vial, conseiller médical soins primaires et professions libérales de la DGOS, a assuré que les CPTS sont une opportunité et non une obligation
. Pour lui, cette nouvelle organisation, au-delà des ESP, des maisons de santé pluriprofessionnelles et des centres de santé, s'accompagnera de nouveaux partages de tâches entre professionnels de santé… De nouveaux modèles sont à inventer en matière de coordination des soins de proximité. Il faudra s’appuyer sur des expériences réussies et savoir les valoriser
, a-t-il martelé.
Un discours plus « ouvert » que celui d'Agnès Buzyn qui a laissé entendre lors d'une récente visite d'un CPTS que, dans le cas d'un échec des négociations actuelles avec la CNAM, l'exécutif se donnerait la possibilité d'inscrire dans la loi santé une mesure instaurant un socle juridique pour financer ces CPTS
. De même, si elle s'est engagée à ce que ce dispositif n’entraîne jamais de sanction contre les professionnels récalcitrants, l'incitation peut être telle
que ceux qui ne participeront pas à ces regroupements et qui resteront en exercice isolé se sentiront un peu pénalisés par rapport aux autres
. Des propos qui ont hérissé certains syndicats et notamment la Fédération nationale des infirmiers (FNI) et Convergence Infirmière jugeant "inacceptable qu'une négociation puisse se mener sous la menace et le chantage".
Même écho du côté de Jacques Battistoni, président de MG France, syndicat des médecins généralistes, qui, dans une tribune dans Le Monde, a rappelé que l’aggravation des conditions d’accès aux soins n’était plus tolérable
et que la réponse aux problématiques de santé actuelles "passe par une offre de soins ambulatoires organisée et visible dans tous les territoires, décidant elle-même de ses missions et ses outils"
. Quand à Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des Syndicats Médicaux Français (CSMF), à l'occasion de sa cérémonie des voeux 2019, le 16 janvier, il a souligné que les CPTS ne doivent pas être un but en soi, mais un moyen, un outil parmi d'autres moyens, parmi d'autres outils. Nous sommes des entrepreneurs libéraux : le gouvernement doit respecter cette volonté entreprenariale qui permettra de répondre aux besoins de la population partout, dans la qualité et par des innovations organisationnelles. Parlons plutôt de "regroupements" et "d'organisations coordonnées" dans les territoires pour répondre à cet enjeu de demain
. Voilà qui est dit !
Delphine Champetier, Directrice de l'offre de soins à la CNAM, l'a souligné, les CPTS ne constituent pas un enième acronyme, abscon et rigide. C'est un moment historique pour l'organisation des soins de ville. Les acteurs qui les font vivre sont très nombreux, avec des profils et des modes d'exercice très variés : seuls, en cabinet de groupe, en MSP, en centre de santé... Si la coordination existe déjà à petite échelle, il faut la faire évoluer, grandir, créer des constellations de professionnels de santé qui oeuvrent ensemble, partagent leurs savoirs, leurs connaissances des patients et ce, pour un niveau de qualité et de performance efficient et des conditions d'exercice améliorées. Les négociations en cours sur l'exercice coordonné montrent l'idée d'une souplesse du système et du respect des professionnels de santé et de leurs missions spécifiques à mener, selon leurs choix, en fonction des besoins du territoire où ils officient
.
Il est en effet important de souligner que les besoins de santé sont en France très hétérogènes et qu'il ne s'agit pas de plaquer ici et là, de façon similaire, des priorités de santé publique alors qu'elles peuvent être spécifiques d'un bassin de vie ou d'un territoire. De ce point de vue, les Agences régionales de santé (ARS) comprennent bien les enjeux de la coordination des soins. Yannick Le Guenn, directeur de la stratégie à l'ARS Ile-de-France, a rappelé que ce sont les acteurs du soin qui doivent définir les populations sur lesquelles ils souhaitent travailler à titre prioritaire. Chaque territoire possède ses propres enjeux et les actions qui en découlent doivent être des actions concertées
. En Ile-de-France, par exemple, deux priorités de santé publique émergent : les maladies cardiovasculaires et la coordination ville-hôpital. Les ARS accompagnent donc les projets de chacun, donnant les marges de manoeuvre aux acteurs concernés et le financement qui en découle en fonction de l'accord conventionnel interprofessionnel (ACI).
Selon la CNAM, les négociations en cours sur l'exercice coordonné montrent l'idée d'une souplesse du système et du respect des professionnels de santé et de leurs missions spécifiques à mener, selon leurs choix, en fonction des besoins du territoire où ils officient.
CPTS, les infirmiers prennent le pouvoir !
La coordination des professionnels de santé passe d’abord par le fait de bien se connaître et pour ce faire se parler, discuter autour de la table. Cela paraît évident de le dire mais quand on le dit cela devient évident !
a souligné Laeticia Carlier, infirmière libérale à Bergerac, présidente de la CPTS locale, première infirmière à présider une CPTS en France. Regroupés en pôle de santé dès 2012, démographie médicale en souffrance oblige, elle a rappelé que si au départ seuls 40 professionnels de santé libéraux adhéraient au pôle, ils sont aujourd'hui 110 - médecins, infirmiers, kinésithérapeutes, pharmaciens, dentistes, médecins spécialistes
. Cette mise en réseau des professionnels de santé, 30 IDEL en font partie à Bergerac, nous a ouvert de nouveaux horizons, avec une possibilité de gouvernance nouvelle pour une infirmière. Notre parler franc, notre façon pragmatique d'aborder - et de résoudre - des problèmes de prise en charge d'ordre médicaux certes mais aussi sociaux (la fameuse sortie de l'hôpital du vendredi à 17h, non anticipée, et qui laisse le patient - d'autant lorsqu'il est âgé - sans ressources : portage des repas, ménage, aide à domicile...) nous donne toute la légitimité pour diriger une CPTS. Il nous faut le dire, le montrer et le faire savoir
.
Un point de vue partagé par Thierry Péchet, infirmier et président de l'ESP Dommartemont, en Meurthe et Moselle, qui a expliqué que l'augmentation du nombre de personnes âgées sur ce territoire, d'autant plus dépendantes, a poussé les professionnels de santé à se fédérer. Il est nécessaire de montrer notre capacité en tant qu'IDEL à travailler en interprofessionnalité, notre ESP compte une trentaine de membres actifs et un projet de CPTS voit le jour avec quatre autres ESP du secteur. Il nous faut en effet donner de la visibilité à ce que l'on fait mais également arriver à nous faire rémunérer ce que l'on fait gratuitement. Education à la santé, éducation thérapeutique, suivi rapproché des personnes dépendantes, maintien à domicile, télémédecine... via l'ESP, on répond d'autant mieux à ces différentes missions dûes à nos patients. Les idées et les compétences ne manquent pas et oui, le pragmatisme des IDEL est une force pour une meilleure organisation et coordination des soins de proximité !
Le leadership infirmier est en marche et via les ESP, les CPTS, il va pouvoir s'exprimer d'autant mieux ! A l'issue de cette matinée, il semble bien que la place des infirmiers dans la coordination des soins de proximité ait été plus que confirmée.
Regarder l'intégralité de la Matinale sur la page Facebook de l'Ordre national des infirmiers.
Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern
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