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Les maisons de naissance, un rêve devenant réalité ?

Publié le 08/11/2010

L’expérimentation des maisons de naissance est en cours de discussion législative. Ces structures portées par des sages-femmes et destinées à suivre des grossesses physiologiques rencontrent l’hostilité de la plupart des obstétriciens, qui invoquent un risque propre à toute grossesse. Leurs promotrices rétorquent que l’hypermédicalisation n’est pas satisfaisante non plus.

En 2004, Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la santé, présentait un nouveau plan de périnatalité pour les années 2005 – 2007. Ce plan s’articulait en quatre points : « humanité, proximité, sécurité, qualité » 1. Comme en 1998 et en 2001, il reprenait la mise en place d’une expérimentation de structures moins médicalisées pour répondre à la demande de certains couples d’un suivi plus globalisé de la grossesse et de la naissance : des « maisons de naissance » attenantes à des plateaux techniques. Pourquoi aujourd’hui, en 2010, douze ans après les premières annonces d’expérimentation, aucune de ces structures n’existe réellement, du moins officiellement ?

La France est pourtant marginale en ne proposant pas ce type de structures placées sous la seule responsabilité des sages-femmes. En effet, le Canada, les Etats-Unis, la Suisse, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou encore la Belgique ont vu se développer depuis de nombreuses années des maisons de naissances indépendantes, travaillant en réseau avec un centre hospitalier.

Certains, comme le Royaume-Uni ou la Suède, ont aussi développé des structures intermédiaires nommés centres de naissance. Ces unités indépendantes sont localisées au sein même d’un centre hospitalier, coexistant avec une maternité « classique ». Leur fonctionnement est cependant basé sur le principe des maisons de naissance 2/3

D’abord un lieu d’accueil

Mais qu’est-ce qu’est une maison de naissance ? C’est « un lieu d’accueil des femmes enceintes et de leur famille dans la mesure où la grossesse, l’accouchement et le post-partum restent dans le cadre de la physiologie » 1. Il s’agit donc d’une structure, théoriquement indépendante, placée sous la responsabilité des sages-femmes, qui assurent un suivi global de la femme enceinte selon le principe « une femme – une sage-femme ». Ce suivi consiste à assurer toute la surveillance de la grossesse, les cours de préparation à la naissance, le suivi du travail, de l’accouchement et de ses suites par un même groupe de sages-femmes.

Une maison de naissance assure ainsi le premier niveau de la médicalisation d’une naissance - la présence d’une sage-femme auprès de la femme - tout en offrant une alternative à l’accouchement à domicile très souvent décrié en France 4. A proprement parler, il s’agit donc de parler plus d’une moindre technicisation que d’une moindre médicalisation.

Allier sécurité et humanité

Pourquoi alors douze ans après les premières annonces d’expérimentation, aucune n’a pu être lancée officiellement ? Depuis de nombreuses années, en France, les gynécologues obstétriciens assurent la surveillance de près de 75% des grossesses5 partant du principe que toute grossesse est potentiellement à risque et requiert donc leur expertise, comme d’ailleurs le travail et l’accouchement.

Toute grossesse est donc considérée comme potentiellement pathologique jusqu’à ce que le contraire ait été prouvé ; elle est donc normale qu’à postériori. Ce postulat, ainsi que des motifs économiques évidents de par la réduction du nombre de lits d’hospitalisation, ont conduit aux décrets de périnatalité de 19986/7 et à la fermeture de petites maternités jugées non sécurisées.

Pour les gynécologues obstétriciens, les maisons de naissance, petites structures par définition, à distance d’un bloc opératoire et sans le contrôle d’un médecin, semblent donc être à contre-courant de toutes les politiques de périnatalité instituées en France depuis maintenant 40 ans (le premier plan périnatalité datant de 1970).

Pourtant cette évolution s’est faite au détriment de l’accompagnement des couples avec l’avènement des « usines à bébé » : alors qu’il y avait une sage-femme de garde 24 heures sur 24 dans une maternité réalisant 300 naissances par an, elles ne sont que 3 à 4 maximum dans une maternité en réalisant 3000. Le rapport une sage-femme pour un couple est donc actuellement loin d’être possible en maternité. Le ratio du nombre de femmes par sage-femme peut cependant être un indice de qualité. Au Royaume-Uni, plus ce ratio est bas, plus la maternité est bien considérée. En France, il semble ainsi que sécurité et humanité ne puissent pas cohabiter !

Des sages-femmes sous la tutelle des médecins

Parallèlement, les sages-femmes, dont la profession est classée par le Code de Santé Publique comme profession médicale, donc autonome et responsable, restent malgré tout sous la tutelle de ces médecins. En effet, leur formation, bien qu’en cours de réforme, est toujours sous la direction d’un directeur technique gynécologue obstétricien et leur diplôme toujours délivré par une faculté de médecine.

Une fois diplômées, les sages-femmes s’orientent majoritairement en secteur hospitalier. Le statut de cadre A de la Fonction Publique Hospitalière les place alors dans une hiérarchie, notamment vis-à-vis des médecins, dont le chef de service. Ce statut différent de celui des autres professions médicales (médecins, odontologistes) et pharmaceutiques les empêche de pouvoir gérer leurs propres unités hospitalières que pourraient constituer les maisons de naissance.

Seules les sages-femmes libérales pourraient donc avoir cette possibilité. Mais leur faible nombre par rapport à celui des hospitalières ne favorise cependant pas un rapport de force suffisant pour la reconnaissance des rôles et compétences propres de ces généralistes de la grossesse. Voilà pourquoi chaque fois que le projet a été relancé, il n’a pu aboutir.

Un débat parlementaire soutenu

Le projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) pour 2011 prévoit enfin cette expérimentation dans son article 40, pour la première fois dans un texte législatif. La loi Hôpital Santé Patient Territoire (HPST) de 2009 l’avait envisagée mais des irrégularités dans la présentation du texte avait conduit le Conseil Constitutionnel à faire invalider les articles concernés.

A l’annonce de cet article 40, les mêmes arguments d’insécurité ont ressurgi d’autant que la version initiale prévoyait des structures indépendantes de tout établissement de santé. Des députés ont déposé des amendements pour son retrait. La Commission des Affaires Sociales a rejeté l’article dans ses délibérations.

Le Collège National des Gynécologues Obstétriciens Français (CNGOF)  a émis des inquiétudes sur l’éloignement de ces structures d’avec un plateau technique de gynécologie obstétrique. Le syndicat national des établissements privés en médecine, chirurgie et obstétrique (FHP-MCO) a quant à lui fait savoir que les gynécologues obstétriciens libéraux pourraient tout aussi bien réaliser ces naissances « naturelles », compétences dévolues normalement, par définition de leur profession, aux sages-femmes.

Le débat en séance à l’Assemblée Nationale a été vif et riche8. Les députés se sont inquiétés principalement de la localisation exacte de ces structures, du caractère exclusivement libéral ou encore de cette contradiction de la politique périnatale qui a aboutit à nombre de fermetures de petites maternités et le développement de maisons de naissance.

Mme Roselyne Bachelot a donc apporté ces précisions : la maison de naissance sera attenante à un service de gynécologie obstétrique (et non pas uniquement à un centre hospitalier) ; l’initiative du projet pourra être portée par une association ou un établissement hospitalier, les naissances de la maison de naissance seront comptabilisées avec celles de l’établissement qui les accueillera pour maintenir une activité d’au moins 300 naissances, activité minimale nécessaire pour pouvoir fonctionner, …

Nous tenons à ajouter que le suivi par une même sage-femme tout au long de la grossesse assurera un niveau de sécurité d’autant plus grand que celui « anonyme », réalisé au sein d’une grosse structure, tout en diminuant la iatrogénie du tout interventionnisme. Ce suivi global par un même et unique professionnel n’a pour autant pas du tout été évoqué par nos députés.

Maisons de naissance, une dérive « sectaire » … ?

Les députés se sont également interrogés sur l’origine du lobbying qui a été porté par les projets existants déjà. Le débat a alors tourné à la caricature, en évoquant une « dérive sectaire ». Nous nous étonnons à ce propos que ces mêmes députés ne se soient pas autant interrogés sur l’origine du lobbying qui a entraîné le retrait du projet d’articles prévoyant la possibilité d’étendre la compétence des sages-femmes à la pratique des interruptions volontaires de grossesse par voie médicamenteuse lors des débats du la loi HPST de 2009.

Les moyens, notamment financiers, employés alors étaient beaucoup plus proches de sectes et de divers mouvements « pro-vie » qu’une réelle opposition de notre profession ou de la population. Alors pourquoi s’inquiètent-ils donc d’une forte demande des femmes et des sages-femmes pour l’ouverture des maisons de naissance ? A moins qu’ils considèrent le Conseil National de l’Ordre des Sages-Femmes ou l’Association National des Sages-Femmes libérales comme des sectes ! La remise en cause du droit des femmes d'accoucher dans une structure qu’elles ont choisi est similaire à la remise en cause du droit de ces mêmes femmes à l’interruption volontaire de grossesse !

Des questions restent en suspens, notamment à propos de l’assurance en responsabilité civile professionnelle alors qu’un accident obstétrical se chiffre très rapidement en millions d’euros d’indemnités. Les débats au Sénat qui débuteront cette semaine apporteront peut-être plus de précisions. Suivra ensuite la Commission Mixte Paritaire qui devra faire fusionner les deux versions du texte avant la parution des décrets du Conseil d’Etat qui précisera l’ensemble des modalités de fonctionnement et d’évaluation, la liste des maisons de naissance autorisées à fonctionner, etc. Restons vigilants pour que ce rêve devienne enfin réalité !

Note de la rédaction d’Infirmiers.com : La commission des Affaires sociales du Sénat a supprimé l’article du PLFSS 2011 sur les maisons de naissance, qui sera donc réexaminé lors de la discussion en commission mixte paritaire (Assemblée – Sénat). Par ailleurs, une étude d’impact évalue à 7 millions d’euros l’économie apportée par la création de 60 maisons de naissance, pour  environ 12 000 naissances par an (1,5 % du total des naissances), qui est leur nombre attendu.

Notes

1 Plan périnatalité 2005 – 2007, humanité, proximité, sécurité, qualité, 10 novembre 2007, Paris, 42 pages.
2 DUTRIAUX N., Vécu et attentes des usagers d’une maternité francilienne, Mémoire de fin d’études de sage-femme – Ecole Baudelocque – Université Paris Descartes, Paris, 2007, 77 pages.
3 MIKELIC T., Accompagnement des femmes enceintes à bas risque obstétrical en France et au Royaume-Uni, Mémoire de fin d’études de sage-femme – Ecole de l’Hôtel-Dieu – Université Claude Bernard Lyon 1, Lyon, 2007, 87 pages.
4 DABADIE C., FARGE M., VENDITELLI F., GALLOT D., LEMERY D., Accueil des grossesses à bas risque dans les maternités de niveau III – Comment offrir des services adaptés ?, In : 34ème Journée Nationale de Médecine Périnatale, Arnette (Médecine Périnatale), 2004, pages 157 à 183.
5 DREES, La situation périnatale en France en 2003 – Premiers résultats de l’enquête nationale périnatale, publiée dans Etudes et résultats, N°383, mars 2005, Paris, 6 pages.
6 Décret n° 98-899, du 9 octobre 1998, modifiant le titre Ier du livre VII du code de la santé publique et relatif aux établissements de santé publics et privés pratiquant l’obstétrique, la néonatologie ou la réanimation néonatale, Paris, Editions du journal officiel de la République Française, paru au J.O. n° 235 du 10 octobre 1998, page 15343.
7 Décret n° 98-900, du 9 octobre 1998, relatif aux conditions techniques de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les établissements de santé pour être autorisés à pratiquer les activités d’obstétrique, de néonatologie ou de réanimation néonatale et modifiant le code de la santé publique, Paris, Editions du journal officiel de la République Française, paru au J.O. n° 235 du 10 octobre 1998, page 15343.
8 www.assembleenationale.tv

Nicolas DUTRIAUX
Sage-femme (CH Argenteuil)
Membre du Collège National des Sages-Femmes.


Source : infirmiers.com