C’est un sujet encore tabou que de parler des émotions du soignant. Dans nos études, nous apprenons qu’il faut savoir gérer ses émotions, garder la bonne distance, ne pas s’attacher, ne pas aller trop loin, ne pas pleurer, bref tout ce qui est impossible à faire lorsque l’on travaille avec l’être humain. C’est même tellement impossible que les soignants finissent par penser que c’est eux qui ont un problème parce qu’ils n’arrivent pas à garder la distance
. Il est donc temps de revoir le sujet ...
Très souvent, des étudiants en soins infirmiers viennent me questionner pour leur travail de fin d’étude sur les émotions des soignants. Ils sont en effet les premiers à expérimenter ce fossé qu’il existe entre la théorie et la réalité du terrain. Notre réalité au quotidien c’est une réalité humaine. Qui dit humain, dit émotion. Imaginez ou même penser que l’on peut travailler au contact de la vie, de la mort, de la maladie, de l’humanité sans ressentir d’émotions, c’est comme demander à un vétérinaire d’exercer sans aimer les animaux. Il y a des choses qui sont impossibles.
Comme nous vivons dans une société où les émotions sont encore tabou, nous observons que cela persiste dans l’apprentissage de nos professions. On demande très vite à l’enfant de maîtriser ou de ne pas exprimer ses émotions. Vous avez tous entendu au moins une fois une de ces phrases :
- va pleurer dans ta chambre ;
- la colère à l’école est interdite. On ne se met pas en colère contre un prof ou une situation ;
- un garçon ne pleure pas ;
- lorsque l’on est fort on n’a pas peur ;
- ça ne se fait pas de pleurer devant les gens ;
- va piquer ta colère dans ta chambre et reviens quand tu seras calmé.
Toutes ces injonctions sociétales nous suivent aujourd’hui dans notre pratique soignante. Rendez-vous bien compte que nous grandissons dans cette société qui proscrit l’expression des émotions. Nous faisons ensuite des études dans un institut de formation qui nous apprend - ou qui essaie de nous apprendre - à gérer et à contrôler ces mêmes émotions. Sauf qu’une fois parachutés sur le terrain, nous nous retrouvons tout naturellement traversé d’un tas d’émotions. C’est alors que l’on se dit ce genre de choses :
- je suis trop sensible ;
- Je n’y arrive pas ;
- je ne sais pas gérer mes émotions ;
- je suis nul ;
- je ne suis pas faite pour ce métier ;
- je souffre trop.
Et toutes ces idées entièrement fausses nous conduisent à nous dévaloriser, à nous juger, à éviter, à nous retirer, voire même à tout abandonner. Certains prennent la voie du blindage pour se protéger. Se blinder donne l’illusion de maîtriser. Mais ce n’est qu’une illusion, un jour ou l’autre nous sommes rattrapés par tout ce que l’on a essayé d’enterrer. Alors comment faire ?
Qui dit humain, dit émotion. Imaginez ou même penser que l’on peut travailler au contact de la vie, de la mort, de la maladie, de l’humanité sans ressentir d’émotions, est peine perdue...
Tout d’abord la première étape consiste à accepter notre condition d’humain. C’est-à-dire que nous sommes constamment traversés par des émotions et ce dans tous les domaines de notre vie. C’est une utopie d’imaginer que l’on pourrait ressentir les émotions dans telle situation et pas dans d’autre. Les émotions nous permettent de nous adapter à ce que nous vivons. Elles ont toutes un rôle très important à jouer. Plus nous laissons ces émotions nous traverser et plus nous permettons à notre psyché de s’adapter à la situation. En tant que soignants, nous sommes forcément touchés par les situations de vie que nous rencontrons. Certaines sont tristes et nous ébranlent, comme l’on pourrait être touché devant un reportage ou un témoignage émouvant. Certaines nous révoltent et nous mettent en colère. Certaines nous effraient. D’autres encore nous font plutôt rigoler.
Il est important de bien faire la différence entre une émotion est un sentiment. Une émotion est un ressenti intense qui arrive très rapidement, qui monte en puissance et qui redescend rapidement. C’est une montagne russe. Son rôle est principalement de permettre à l’être humain de s’adapter très vite à une situation donnée. C’est ainsi que lorsque l’on parle d’émotion on parle principalement de la joie, de la tristesse, de la colère, de la peur. Après l’expression de cette émotion, peut s’installer un sentiment. Le sentiment, lui, s’inscrit dans le temps. Il est souvent moins intense que l’émotion. Lorsque l’on comprend cela, alors on peut facilement accepter le fait que contrôler ses émotions est quelque chose d’impossible à faire. Alors quoi faire ?
Vous avez maintenant accepté que vous étiez un être qui ressentait des émotions, que c’était normal et indispensable. Il est alors essentiel de savoir quoi faire de ces émotions. Je m’explique. Une fois que nous sommes traversés par cette émotion, il est important de se poser ces questions : "pourquoi cette situation me touche de cette façon ?" "Qu’est-ce qui fait que cette situation chez moi entraîne cette émotion ?" On voit bien au quotidien que nous ne sommes pas touchés de la même manière pour les mêmes choses. Tout simplement parce que nous sommes des êtres différents et que la situation vient toucher quelque chose à l’intérieur de nous qui est propre à notre histoire.
Lorsque l’on comprend ce que la situation vient réveiller chez nous, on accepte alors beaucoup plus facilement d’être traversé par l’émotion. On commence alors à regarder la situation comme si l’on était extérieur, on regarde le mouvement de cette émotion. La prise de recul permet en effet de ne pas s’identifier à l’émotion. Je ne suis pas mon émotion. Je suis moi et cette émotion me traverse parce qu’elle vient de toucher en moi quelque chose d’intime. C’est ce travail que l’on appelle la gestion des émotions. "Collé" à son émotion, nous perdons notre capacité de réflexion et de discernement. La solution et donc de comprendre pourquoi l’on est touché et non de chercher à ne pas être touché. Lorsque nous voyons un étudiant dans cette situation, il est très important de pouvoir en parler avec lui. Plus nous nous laissons les uns les autres seuls face à nos ressentis et plus nous alimentons le tabou des émotions du soignant.
La prise de recul permet en effet de ne pas s’identifier à l’émotion. Je ne suis pas mon émotion. Je suis moi et cette émotion me traverse parce qu’elle vient de toucher en moi quelque chose d’intime. C’est ce travail que l’on appelle la gestion des émotions.
Alors bien sur il n’y a pas de recette, de protocole, parce que vous l’avez compris, nous sommes tous singuliers. Je peux cependant vous donner quelques pistes en partageant quelques questions que vous pouvez vous poser entre collègues, ou à votre stagiaire, ou encore à toute personne que vous percevez emprunt d’émotion. Trois questions incontournables :
Qu’est-ce que tu ressens ? Cette question paraît idiote mais elle est pourtant la plus importante parce que c’est celle qui va permettre de nommer l’émotion. Est-ce que tu ressens de la tristesse, de la colère ou de la peur ? C’est ce qui va permettre à l’autre de nommer, et donc d’identifier son émotion.
Qu’est-ce que ça te fait dans ton corps ? Cela permet une introspection, de faire une pause pendant quelques secondes et de porter attention aux manifestations physiques de l’émotion. Est-ce que j’ai une boule dans la gorge,ou plutôt dans le ventre, est-ce que j’ai la sensation d’exploser… Tout cela permet d’associer l’émotion à une manifestation physique. Et cela créé des chemins qui permettent ensuite d’identifier de mieux en mieux ce que l’on ressent. C’est ce que l’on appelle se connaître. Lorsque j’ai cette boule dans la gorge c’est parce que je sais que je suis triste. Et chaque émotion peut se manifester physiquement différemment chez chaque personne.
Pourquoi ressens-tu cette émotion ? Bien sur vous remplacez dans la question "cette émotion" par l’émotion que la personne a nommé. Par exemple, si c’est de la tristesse, vous lui direz : pourquoi ressens-tu de la tristesse ? Réfléchir à cette question permet à la personne d’associer le réveil de cette émotion avec quelque chose qui lui est propre, de comprendre pourquoi cet événement suscite chez lui cette émotion. Cette prise de conscience est indispensable car elle permet de prendre la responsabilité de son émotion. Ce n’est pas l’autre qui me rend triste, c’est la situation que vit l’autre qui réveille chez moi quelque chose qui me rend triste. Et je ne suis donc plus victime de cette émotion, mais bien acteur de cette émotion. Si je suis acteur je suis donc celui qui a les rênes.
La suite appartiendra ensuite à la personne. Ce que je veux dire par-là c’est que chacun est libre de continuer le travail qui le conduira à la compréhension de lui-même et de son propre fonctionnement. Si à chaque situation émotionnelle nous prenons le temps de comprendre pourquoi nous sommes traversés par cette émotion, alors nous allons nous élever dans notre capacité à communiquer, à accepter l’émotion de l’autre, et à faire ce que l’on nous demande, c’est-à-dire à gérer nos propres émotions
Vous l'aurez compris à l’issue de cet article, la gestion des émotions ce n’est pas de ne pas en vivre, mais bien de comprendre pourquoi on les vit. Les émotions sont nos alliées et non nos ennemies. Sans émotion nous ne pouvons pas évoluer tout au long de la vie. Nos émotions nous protègent et nous permettent de nous adapter. Elles nous sont indispensables.
Pour aller plus loin
Une petite vidéo de la série "vidéo express" sur les croyances limitantes du soignant. Elle viendra compléter en quelques minutes cet article sur les émotions, en vous parlant de tout ce que l’on imagine être vrai et qui nous limite en permanence dont notre activité professionnelle. Elle vient vous dire que le soignant est ce qu’il pense être. Si vous changez votre façon de penser, vous allez changer qui vous êtes.
"Des soignants bien dans leurs sabots" - Comment instaurer une relation de confiance. Un outil simple pour identifier ce qui m'appartient et ce qui appartient à l'autre. Formulaire de téléchargement en bas de l’article.
Cet article est à retrouver sur le blog de Cylie
"Confiance en soins - Ici et maintenant, soyons créatifs". Merci de ce partage.
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