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MODES D'EXERCICE

Être sage-femme dans le Tsaranoro

Publié le 14/02/2011

À Tsaranoro, la sage-femme est aide-soignante ! elle assure le suivi des grossesses et des accouchements, et partage avec Irène, l'infirmière, la délivrance des deux moyens contraceptifs disponibles (pilule et injection).

Aujourd’hui, je vous propose de voir un peu plus en détails comment travaille la sage femme du dispensaire. Car dans ce CSB (Centre de Santé de Base, c’est ainsi que sont dénommés les dispensaires de Madagascar), Irène (l'infirmière) ne s'occupe pas que de consultations médicales : une grande partie de son activité est aussi consacrée au planning familial et aux consultations prénatales.

Dans le petit dispensaire du Tsaranoro, c’est Pascaline qui fait fonction de sage femme. Elle ne possède en fait pas de diplôme, mais ayant travaillé plus de 3 ans avec un médecin dans un autre dispensaire de brousse malgache (qui pouvait accueillir plus de 20 accouchements par jours), elle a pu obtenir une attestation d’aide soignante. Cela lui permet aujourd’hui de pouvoir travailler en tant que sage-femme dans n’importe quel dispensaire.

Et son travail est très varié dans ce petit dispensaire si isolé. Pascaline s’occupe tout d’abord des consultations prénatales, qui sont organisées tous les jeudis. Elle reçoit donc les femmes enceintes dans son petit bureau, dès leur 4ème mois de grossesse. L’objectif consiste à faire un suivi mensuel de la grossesse, où elle pèse la femme enceinte, prend la tension, réalise un petit examen de l’utérus, et vérifie la présentation du fœtus. L’intérêt étant aussi de proposer quelques traitements, tout d’abord un schéma de vaccination anti tétanique, mais aussi un traitement anti paludéen systématique le 4 et 5ème mois. Dès le 6ème mois, et jusqu’à l’accouchement, un traitement de fer est proposé pour la prévention des anémies en cas d'hémorragies. Pascaline rencontre donc environ 30 à 40 femmes enceintes par mois, mais seulement 5 d’entre elles viendront accoucher au dispensaire.

Son deuxième gros travail, c’est la gestion du planning familial, qui est la plus grosse partie de son travail, car le planning est proposé aux jeunes filles dès l’âge de 15 ans, et Pascaline peut voir plus 270 patientes par an, ce qui ne représente cependant qu’environ 27% des femmes de la vallée. Mais la majorité des femmes venant pour ces consultations, viennent avant tout pour chercher leurs traitements contraceptifs.

Le dispensaire propose donc deux traitements, soit la pilule que les femmes viennent chercher mensuellement, soit une injection intramusculaire tous les 3 mois. L’Etat malgache prenait en charge le financement de ces traitements jusqu’à 2009, mais depuis ce sont les patientes qui doivent payer. Une plaquette de pilule pour un mois leur revient à 100 Ariary (soit moins de 10 centimes d’euros), l’injection trimestrielle elle, revient à 300 Ariary (soit 0,11€).

Mais quand l’on demande ce qu'il en est des autres moyens de contraception, notamment l’utilisation du préservatif pour les hommes, la question fait doucement sourire. Il est ici compliqué de faire accepter de telles solutions, et ces sujets restent très difficile à aborder. Mais peut être qu’il est important de se rappeler que cette vallée était complètement coupée du monde il y a encore 15 ans - aucune route n’existait, aucun touriste ne pouvait y accéder - et qu’il est très long de faire changer certaines habitudes. Mais le challenge reste de taille !

Pascaline se rend aussi une fois par mois, à Ambalavo, la ville qui se situe à 60 kms plus au nord du dispensaire. Elle participe au rapport mensuel organisé par le médecin du district. Une grande réunion obligatoire où se regroupent tous les CSB de la région. Elle doit rendre chaque mois le rapport du dispensaire, qu’Irène et elle mettent régulièrement à jour. Il s’agit de communiquer à l’Etat, combien de patients on été vus le mois passé, combien de naissances se sont déroulées au dispensaire, combien de tests de dépistage du paludisme ont été faits, combien ont été positifs, combien de traitements anti palu on été donnés…

Mais c'est aussi l’occasion pour l’Etat de faire circuler les informations importantes dans toutes les vallées de Madagascar, notamment sur l’évolution de certaines maladies, d’organiser les campagnes de vaccination. Comme Irène doit allaiter son tout jeune bébé, c’est donc Pascaline qui se charge d’aller au rapport. Mais ces réunions sont contraignantes quand on est si isolé, il faut marcher 2h jusqu’au bas de la vallée, et si elle ne trouve pas de véhicule, elle rajoute encore 2h de marche pour rejoindre la route nationale. De là, elle doit attraper un taxi brousse, pour se rendre à Ambalavo, soit encore 1h de route. La saison des pluies n’arrangeant rien, cela peut lui prendre parfois 3 à 4 jours.

Et puis, Pascaline prend aussi en charge les accouchements qui se passent au dispensaire. Habitant une petite maison à côté du dispensaire, elle est donc comme Irène, disponible 24h/24. Il y a donc environ 5 accouchements par mois au dispensaire. La petite salle d’accouchement, accolée au bureau, dispose de très peu de matériel : une table d’examen gynécologique, un évier, une bassine d’eau, un tensiomètre et stéthoscope pédiatriques, quelques linges propres et de quoi ligaturer le cordon ombilical. Je n’ai  malheureusement pas eu l’occasion d’assister à l’intégralité d’un accouchement, mais je suis arrivé juste à temps, un peu en sueur, mon deuxième jour au dispensaire, pour voir l’accouchement du bébé. Un moment inoubliable qui s’est déroulé dans un silence des plus absolus.

Pas un bruit, pas un seul cri ou gémissement de la mère. Ce n’est que plus tard que j’ai réalisé à quel point la tolérance incroyable à la douleur des ces habitants, n’est en rien comparable avec ce que l’on peut voir chez nous, et que si un malgache vous affirme qu’il a mal, il faut sérieusement prendre en considération sa  plainte. L’enfant est sorti en quelques minutes de l’utérus, un petit garçon, mais pourtant, lui non plus ne crie pas. Dans un calme des plus remarquables, Pascaline stimule un peu le nourrisson, le tapote, lui insuffle dans les bronches avec un vieux stéthoscope en forme de cône, vous savez, le même que l’on trouve chez nous dans les vitrines des musées. Les secondes s’enchainent, et paraissent des minutes. Mais voilà le premier pleur. Me voilà soulagé, ému, c’est une première pour moi que d’assister à la naissance d’un petit être.

Depuis ces 3 années qu’elle travaille au dispensaire, Pascaline n’aura rencontrée qu’un seul bébé mort né. Même si à priori, beaucoup d’enfants décèdent dans la vallée, il est extrêmement rare que les accouchements se passent mal. Autour de moi tout le monde semble stoïque. Pas d’euphorie, la mère est d’ailleurs de suite accompagnée en marchant, dans la chambre d’à côté après la délivrance  du placenta, sans même voir son bébé.

Le bébé, lui, après la coupure du cordon, est soigneusement lavé avec de l’eau, et emballé dans des épaisses couches de vêtements et couvertures, par d’autres femmes qui accompagnent la maman. Le père quand à lui, attend sagement dehors dans la cour avec les autres membres de la famille. Tout cela semble si habituel…  Ce n’est que son 3ème enfant pourtant, et probablement pas son dernier. Il est ici très fréquent de rencontrer des familles avec 7-8 enfants, voire plus.

La maman et son bébé resteront en surveillance 3 jours au dispensaire, l’occasion de suivre le poids du nourrisson, et de proposer un traitement de vitamine K à la mère. L’enfant sera suivi tous les 3 jours au dispensaire pour la réfection du pansement ombilical, jusqu’à ce qu’il tombe, puis revu à 1 mois et demi, pour les premières vaccinations.

Et voilà un bambin de plus dans la vallée ! Ils y sont d’ailleurs nombreux, comme dans tout le pays. Mais il n’est pas simple d’être un enfant dans cette vallée de Madagascar, car même s’il bénéficiera dès sa naissance d’une relation des plus fusionnelles avec sa mère, il arrivera forcément un jour, la déchirure brutale : l’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur. A partir de ce jour, il devra apprendre à se débrouiller tout seul, et sera élevé la plus part du temps par ses ainés. Mais c’est ainsi que l’on grandit dans le Tsaranoro.


Jérémie THIRION
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Source : infirmiers.com