Dans un récent reportage intitulé Hôpital public : la loi du marché
, le magazine d'investigation Envoyé spécial menait l'enquête au coeur de différents services hospitaliers
, s'attachant à montrer les dérives de la pression économique exercée sur les établissements publics de santé. Suite à la diffusion de ce programme, jeudi 7 septembre sur France 2, l'Ordre National des Infirmiers a tenu à faire une mise au point via un communiqué. Les raisons de son mécontentement ? Les représentants infirmiers et leurs propositions restent, une fois de plus, trop peu considérés.
Les infirmiers auraient-ils moins de légitimité à s'exprimer que les médecins sur les solutions à apporter aux difficultés de notre système de santé ? C'est pour dissiper l'ombre de cette idée que l'Ordre National des Infirmiers a tenu à réagir suite à la diffusion du reportage d'Envoyé spécial la semaine dernière. Car pour l'ONI, les infirmiers qui prennent la parole dans ce reportage sont relégués au second plan, alors même qu'ils constituent des acteurs majeurs du système de soin. Les infirmier(e)s restent cantonnés à ces rôles de "témoins" et de "victimes" de la crise du système de santé. Leurs représentants et leurs propositions restent trop peu considérés. Durant le reportage, les questions de fond sont abordées avec des médecins et un directeur d’hôpital, et sur le plateau, c’est le président de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf), Patrick Pelloux, qui est l’invité de France 2
, dénonce l'ONI. Faut-il pourtant rappeler que les infirmiers représentent pas moins de 600 000 professionnels en France, répartis entre secteur public
et secteur privé hospitalier
, en libéral
, dans les services de santé au travail
ou dans les établissements scolaires
, loin donc, de compter pour du beurre ? C'est ce que souligne, en filigrane, l'instance chargée de les représenter.
Les infirmier(e)s restent cantonnés à ces rôles de "témoins" et de "victimes" de la crise du système de santé. Leurs représentants et leurs propositions restent trop peu considérés.
La perception des infirmiers dans ce reportage, reflet d'une perception plus générale
S'appuyant sur des exemples précis, l'Ordre infirmier revient sur le déroulé de l'émission. L’enquête de France 2 débute en rappelant le suicide d’une infirmière du groupe hospitalier du Havre
en juin 2016, reconnu finalement comme "accident de service"
. Un an après ce drame, ses collègues estiment être toujours "traités comme des pions". On donne ensuite la parole à une infirmière en gériatrie qui raconte la rationnalisation des temps de toilette (12 toilettes en 2h45 soit 13 minutes par patient). Plus tard dans le reportage, un infirmier en pédiatrie évoque des doses d’anesthésiques plus fortes que ce qui est nécessaire afin de s’adapter à l’organisation, aux cadences de travail et au départ d’infirmiers expérimentés
. Autant d'exemples qui attestent de la légitimité qu'ont les infirmiers a faire entendre leur voix. Et pourtant. A l'heure des conclusions et des solutions à apporter, ceux-ci ne sont pas ou plus consultés. Si l'ONI ne tient pas à s'inscrire dans une logique de critique vis-à-vis de l'émission Envoyé spécial en particulier, dont il partage par ailleurs les constats sur l'hôpital, force est de constater qu'une fois de plus, la manière dont les infirmiers sont présentés dans ce reportage est symptomatique du manque de représentativité de la profession dans la société et plus précisément de leur manque de considération par les instances de décision du secteur.
Ce qui m'a le plus choqué c'est que les soignants se sentent obligés de parler à visage caché alors que les médecins se sentent libres de parler ouvertement
Les soignants se sentent obligés de parler à visage caché
Sur Twitter, les voix sont dissonantes. La Fédération hospitalière de France, notamment, a dénoncé le caractère caricatural du reportage d'Envoyé spécial. De même, le Syndicat des managers publics de santé (SMPS) a fait savoir qu'il « s'associait » aux réactions des représentants de la communauté hospitalière, les directeurs s'élèvant en effet contre les raccourcis médiatiques
éloignés de la réalité du terrain. Pourtant, du point de vue soignant, ce reportage reste d'une douloureuse réalité. Les instances représentatives, les syndicats, les associations, elles, ne cessent au contraire de dénoncer depuis longtemps la dégradation des conditions de travail au sein de l'hôpital public. Sur les réseaux, un infirmier lance : J'espère que @agnesbuzyn pourra avoir une copie de Hôpital Public, la loi du marché @EnvoyeSpecial @EliseLucet parce que c'est notre quotidien
. Ce qui m'a le plus choqué c'est que les soignants se sentent obligés de parler à visage caché alors que les médecins se sentent libres de parler ouvertement. C'est le signe d'un grand malaise, de peur de représailles...
, souligne un autre internaute, J'ai regardé hier soir et même si je n'ai rien appris de nouveau, j'avoue que j'en étais malade. Sentiment d'impuissance et d'injustice face à un système qui, inexorablement, pressure les patients en broyant la première ligne, les soignants
, s'insurge un autre spectateur. Faire plus avec moins et comparer l'hôpital avec des usines comme Toyota... Une aberration mais tellement réaliste
, se désole quelqu'un. Un constat largement partagé par l'ONI, qui salue le choix de la rédaction de France 2 de parler de l'hôpital, et qui rappelle, dans le même temps, son intérêt de longue date pour le sujet : L’Ordre des infirmiers dénonce depuis longtemps ce contexte où la rentabilité financière a tendance à prendre le pas sur la qualité des soins et la sécurité des patients
. Et de rappeler ses 9 priorités pour la profession, rendues publiques en avril dernier.
Notre profession souffre prodondément. Du sentiment d'être reléguée à ses fonctions subalternes, du refus de reconnaître le haut niveau de notre expertise, de l'absence d'écoute des dirigeants...
Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin
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