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AU COEUR DU METIER

Edito - Une brève histoire du temps ou quand le temps devient de plus en plus bref...

Publié le 23/02/2018
Tentiomètre coeur vie

Tentiomètre coeur vie

On ne parle que de cela, on n'entend que cela si l'on tend l'oreille : des histoires de temps, de temps de travail, de temps de transport, de temps de sommeil ou de restauration, de temps relationnel, de temps accordé à ses collègues, à ses proches, à ses enfants, à ses loisirs… et les professionnels de santé rajoutent : de temps accordé à leurs patients... Chacun se plaint de n'avoir plus de temps pour rien, de courir après le temps, à croire que nos journées se sont raccourcies alors qu'elles sont saturées de tâches multiples et variées plus contraignantes les unes que les autres. Courir après le temps, on le sait bien, ne rime hélas pas avec sérénité. Par les temps qui courent, le temps presse, et on passe le plus clair de son temps à tenter de gagner du temps en faisant tout en un rien de temps ou en deux temps trois mouvements !

Le coeur n'y est plus, les cadences s'accentuent

Concernant leurs conditions de travail, infirmières et aides-soignantes l'affirment  majoritairement : « elles manquent de temps pour accomplir leur travail » et « n'ont pas suffisamment de moment de pause ».

Les professionnels de santé sont bien placés pour le savoir, alignant parfois sans plus trop de sens des tâches de plus en plus chronophages - et notamment administratives - qui ne leur laissent plus guère de temps pour prendre leur temps, un temps qu'ils voudraient plus rationnel autant que relationnel. Le coeur n'y est plus, les cadences s'accentuent, les priorités comptables priment sur la promesse d'humanité, les valeurs du soin, malmenées, poussent les soignants au bout de leur résistance . Résultat, le stress - et la souffrance qui l'accompagne - se chronicise, les soignants se plaignent, s'aigrissent parfois de si peu de considération, craquent quand ce n'est pas plus grave encore... Leurs attentes sont si nombreuses, d'autant plus qu'elles sont récurrentes : des conditions de travail qui leur permettent de délivrer des soins dignes , une reconnaissance de compétences qui rime avec valorisation d'un engagement total envers l'autre, des moyens humains à la hauteur des besoins, à la ville comme à l'hôpital, en soins généraux, spécialisés comme dans le médico-social…

Par les temps qui courent, le temps presse, et on passe le plus clair de son temps à tenter de gagner du temps en faisant tout en un rien de temps ou en deux temps trois mouvements !

Pourtant cela devrait les rassurer et ce, malgré leurs états d'âme - certains disent en effet « On se moque de nous et on nous tient par la culpabilité … », les patients apprécient le personnel hospitalier, qu'il soit soignant ou administratif. De nombreuses enquêtes d'opinion l'ont déjà mis en évidence et la dernière en date - le Baromètre Odoxa/MNH1 –  le souligne une fois encore. Les personnels hospitaliers jouissent en effet d’une excellente image auprès des patients (86% en moyenne) ; une image plébiscitée à plus de 90 % pour les infirmier(e)s et les aides-soignant(e)s ! Ces derniers le savent, mais parfois le sous-estime encore, c'est pour dire !

Manquer de temps pour accomplir son travail et ne jamais avoir de temps de pause…

« Je me bats avec moi-même pour aller plus vite tous les jours »

Dans ce Baromètre, il est question de satisfaction : près des deux tiers des personnels hospitaliers se dit aujourd’hui satisfait de son travail. Mais l'homogénéité n'est pas au rendez-vous. Les inquiétudes perdurent particulièrement parmi les aides-soignantes dans un état de stress préoccupant. Elles sont nombreuses à se dire mécontentes de leur travail (42 %), estimant qu'il n’est pas reconnu à sa juste valeur (80 %). La forte mobilisation du mois de janvier dernier dénonçant les conditions de travail en Ehpad en atteste largement et la grogne est loin d'être terminée avec un mouvement national à nouveau annoncé pour le 15 mars.

Et l'on en revient à la notion de temps. Concernant leurs conditions de travail, infirmières et aides-soignantes disent très majoritairement dans ce Baromètre manquer de temps pour accomplir leur travail et ne jamais avoir de moment de pause dans leur travail. Ceci est en parfaite adéquation avec les témoignages de soignants, tous plus édifiants les uns que les autres que nous publions très régulièrement : En Ehpad, une toilette « VMC », c’est une toilette « visage-mains-cul », express, pour sûr ! Plutôt que d'aider les résidents à aller aux toilettes, on leur met des protections. Plutôt que de les aider à manger, on leur donne une alimentation mixée car c’est plus rapide à avaler et on peut donner la cuillère à deux personnes en même temps ! ou encore je me bats avec moi-même pour aller plus vite tous les jours.

Parce que le temps est une valeur inestimable pour tout soignant, on ne peut que militer pour sa sauvegarde et sa bonne gestion.

Que serait « avoir le temps » dans une logique de prendre soin ? Etre disponible et concentré sur l’instant en évitant de penser à l’endroit où il faudra se trouver dans cinq minutes ou à ce qui reste encore à réaliser. En effet, écrivait Myriam Heron dans un dossier consacré au « Temps dans le soin  » À l’hôpital, tout se passe souvent comme si les soignants n’avaient jamais le temps. Est-il possible pour le soignant d’adopter une logique d’accompagnement de qualité quand il est davantage tourné vers une logique quantitative de quête du temps ? “Avoir” le temps serait ainsi “être” le temps, c’est-à-dire l’incarner.

Une étude menée par Didier Truchot, professeur de psychologie sociale du travail et de la santé à l'Université de Bourgogne Franche-Comté, ne dit pas autre chose. Il s'avère que c'est le « travail empêché » - le sentiment de ne pas faire son travail convenablement, de ne pas consacrer assez de temps à ses patients, ou encore l'impossibilité d'utiliser toutes ses connaissances - qui a le plus d'impact sur l'épuisement émotionnel et la dépersonnalisation.

Pour bien soigner, il faut donc du temps. On ne peut que constater que les dures lois de l’économie où le temps est compté, tuent à terme la qualité des soins. Parce que le temps est une valeur inestimable pour tout soignant, on ne peut que militer pour sa sauvegarde et sa bonne gestion. Il est encore temps de revoir les organisations de travail, les priorités et le sens qu'on leur donne. Dans une réflexion collective, inspirons-nous du bel aphorisme du sociologue et philosophe Edgar Morin qui nous met en garde : A force de sacrifier l'essentiel pour l'urgence, on finit par oublier l'urgence de l'essentiel.

Note

  1. Carnet de santé des Français et des personnels hospitaliers, février 2018. Enquête réalisée auprès d’un échantillon de Français interrogés par internet les 13 et 14 décembre 2017, et réalisée auprès d’un échantillon d’adhérents de la Mutuelle Nationale des Hospitaliers et des professionnels de la santé et du social (personnels hospitaliers soignants et non-soignants) interrogés par internet du 11 au 31 décembre 2017.

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com