Dans son premier rapport sur la santé des migrants et des réfugiés, l’Organisation Mondiale de la Santé pointe des conditions de déplacement et d’accueil qui ont un impact négatif sur leur bien-être et appelle les gouvernements à mieux prendre en compte la problématique.
Il s’agit du tout premier rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur le sujet. Le World report on the health of refugees and migrants, qui compile et analyse les données provenant de 17 millions de participants et de 16 pays, dresse un état des lieux alarmant de la santé des populations déplacées. Emplois dangereux, conditions d’hébergement, voire de détention, dégradées, impossibilité d’avoir accès à des soins de qualité…, leur santé est souvent mise en péril et s’avère bien moins bonne que celle des populations d’accueil. De quoi pousser l’organisation à appeler à une meilleure prise en compte de ces personnes particulièrement vulnérables. Une urgence, car une personne sur 8 dans le monde est un migrant ou un réfugié
, a rappelé le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, lors de la conférence de presse de présentation du rapport, qui s’est tenue le 20 juillet. Un chiffre qui est amené à augmenter dans les prochaines années, en partie du fait des conflits et du réchauffement climatique.
La migration, un déterminant essentiel de la santé
Le premier constat du rapport est sans surprise : migrants et réfugiés sont en moins bonne santé que les populations des pays qui les reçoivent. Et c’est dans le processus même de migration que se trouve l’explication à cette situation. La migration et le déplacement forcé sont deux éléments clés du bien-être et de la santé des personnes,
résume-t-il. Si les conditions de vie et de santé sont très hétérogènes d’une région du monde à une autre et en fonction des routes migratoires empruntées
, le simple fait de se déplacer, sur des périodes parfois très longues qui peuvent aller de deux à trois ans, empêche notamment toute régularité des soins. Pour les enfants, s’ajoute l’impossibilité d’avoir accès à l’éducation, qui est aussi un lieu de préservation de la santé (interventions sur l’alimentation, réponses à leurs besoins pratiques, émotionnels…).
Des problèmes spécifiques
En résulte une population avec des problématiques spécifiques. Le rapport note ainsi une prévalence du diabète, de maladies cardiovasculaires ou respiratoires, provoquées par de mauvaises conditions d’accueil (dortoirs surpeuplés et peu aérés, humidité des logements, contact avec des animaux vecteurs de maladies…). Des besoins de santé particuliers apparaissent également en fonction des catégories de population. Les risques d’accidents du travail sont plus élevés pour les travailleurs migrants, essentiellement car ils occupent des emplois dans des secteurs à haut risque, comme les mines ou la construction
. Quant aux femmes, elles sont confrontées aux violences sexuelles et à l’impossibilité de recourir à des politiques ou à des programmes de contraception sûrs mais aussi aux suivis prénataux.
Les chiffres de l’immigration Selon le rapport de l'OMS, |
La santé mentale très préoccupante
Autre problème majeur : celui de la santé mentale, encore bien trop invisibilisé, et pourtant particulièrement prégnant au sein des réfugiés fuyant un conflit. Les migrants et réfugiés sont soumis à nombre de facteurs de troubles mentaux : une tension terrible, des troubles dépressifs, de l’anxiété…
, énumère le Dr Santino Severoni, Directeur du Programme Santé et Migrations de l'OMS. Des souffrances qui touchent également durement les enfants et adolescents, en particulier les mineurs isolés. Or dans la majorité des cas, ces troubles ne sont pas pris en charge dans les pays que traversent ou dans lesquels s’installent ces populations, et peuvent conduire certains individus à adopter des comportements dangereux pour leur santé (automutilations, entre autres). Les troubles mentaux sont la résultante de plusieurs couches de traumatismes et de souffrances qui s’accumulent sur plusieurs années, à commencer par le fait de quitter ses proches
, a insisté de son côté le Dr Waheed Arian, médecin urgentiste du National Health Service britannique et lui-même ancien réfugié d’Afghanistan.
Il est très difficile pour les migrants d’avoir accès et d’obtenir des soins, car ils ont peur de la déportation.
Des populations face à des difficultés d’accès aux soins adaptés
S’ils sont plus susceptibles de pâtir d’une mauvaise santé, réfugiés et migrants sont aussi plus éloignés du soin que les populations hôtes. Les obstacles pour y accéder sont en effet nombreux à surmonter, rappelle le document de l’OMS : barrière de la langue, qui limite la communication et la prise d’information – une problématique particulièrement mise en lumière lors de la pandémie de Covid-19 –, marginalisation, actes de discrimination, voire de xénophobie. Le cadre juridique représente aussi un obstacle majeur
pour les migrants en situation irrégulière, poursuit le Dr Severoni. Il est très difficile pour eux d’avoir accès et d’obtenir des soins, car ils ont peur de la déportation. Et pour 30% d’entre eux, il est impossible de payer la prise en charge ou les traitements.
Et même pour ceux qui sont mieux intégrés, tels que les demandeurs d’asile, il demeure complexe de naviguer dans les systèmes de santé et d’identifier les lieux ou les professionnels de santé adaptés à leurs besoins.
Côté soignants, le rapport souligne qu’ils disposent rarement des compétences nécessaires à la prise en charge spécifique de ces populations. Afin de fournir des services appropriés aux réfugiés et aux migrants, les professionnels de santé doivent être en mesure d’offrir des soins adaptés sur le plan culturel et de répondre aux problématiques de santé associées au déplacement et à la migration. Cependant, les ressources sont souvent insuffisantes
, déplore-t-il ainsi. Et ce même dans les pays à hauts revenus. Les professionnels de santé sont au cœur de ce sujet, de même que leurs compétences, leurs capacités à communiquer, à offrir l’attention nécessaire pour les prendre en charge. La formation continue est donc primordiale pour la prise en soin des migrants.
Un appel aux gouvernements pour une meilleure inclusion
Face à ces constats, l’OMS presse les gouvernements d'imaginer des politiques de santé prenant mieux en compte les besoins et les spécificités des migrants et réfugiés. Mais pour cela, encore faudrait-il que les pays disposent de données plus complètes. Or c’est là que le bât blesse. Ce premier rapport met ainsi en lumière, non pas un manque de données, mais bien une absence de standardisation entre les pays et un aspect fragmenté des informations recueillies. Et de regretter que les données sanitaires soient essentiellement centrées sur la surveillance des maladies infectieuses, au détriment d’une surveillance globale de santé publique, et soient par ailleurs souvent exclues des statistiques relatives aux phénomènes migratoires. Les données sont fragmentées, difficilement exploitables pour définir des tendances au sein des pays ou pour élaborer des politiques de prise en charge
, explique le Dr Severoni. L’enjeu est donc d’améliorer le recueil de ces données
et d’investir dans des programmes de recherche pour mieux appréhender les dynamiques et barrières qui président à l’accès aux soins pour ces populations.
En découle une autre nécessité majeure que pointe le rapport : inclure les migrants et les réfugiés dans la définition de ces politiques et ce aussi bien dans les pays de transits que d’accueil. Si le constat de l’OMS reste sombre, une évolution dans la prise en compte de ces populations au niveau sanitaire est toutefois à saluer. La situation n’est certes pas idyllique, mais les choses changent. Auparavant, ce type de problématique n’était pas du tout pris en compte
, estime le Dr Severoni. La plupart des pays en ont une meilleure compréhension et tentent de faire en sorte que les migrants aient accès à leur système de santé
, même si le débat reste souvent très politisé.
Audrey ParvaisJournaliste audrey.parvais@gpsante.fr
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