Comment contrer le couple anxiété/douleur qui va toujours de pair dans les situations pédiatriques complexes de douleur et de refus de soins ? Et si la connaissance des peurs inhérentes au développement de l'enfant, et donc leur anticipation, était l'une des pistes d'amélioration de la prise en charge ? Retour d'expérience avec Charlotte Bevis, infirmière puéricultrice ressource douleur au sein du CETD pédiatrique CAP Sud Enfant (CHU de Montpellier), et intervenante lors d'une plénière sur la prévention de la douleur induite dans le cadre de la 2e journée du réseau Interclud Occitanie.
La douleur provoquée par les soins (DPS) peut survenir à tous les âges de la vie, quel que soit le secteur de soin. L'anxiété peut renforcer la perception de la douleur
peut-on lire dans l'ouvrage La douleur en questions
paru en 2018 et co-signé par la Société française d’évaluation et de traitement de la douleur (SFETD), et le Centre national de ressources douleur (CNRD). C'est le cas notamment en pédiatrie, secteur où la DPS y est très fréquente et où tout soin peut potentiellement induire une douleur
a rappelé Charlotte Bevis, infirmière puéricultrice ressource douleur au sein du CETD pédiatrique CAP Sud Enfant (CHU de Montpellier) lors d’une plénière sur la prévention de la douleur induite dans le cadre de la 2e journée du réseau Interclud Occitanie. Prise de tension, prise de sang, pose de cathéters périphériques, pose de tous types de sondes, pansements (simples et complexes), retrait de points, d'agrafes mais aussi soins de nursing, mobilisations et transferts sont ainsi concernés, de même que les actes médicaux en tant que tel (pose de drains thoraciques, ponctions lombaires, myélogrammes par exemple).
Dès lors, cela incite les soignants exerçant en pédiatrie à avoir une attention particulière. […] Nous allons chercher à prévenir la douleur. Nous sommes beaucoup dans la prévention et l'anticipation de ces douleurs
poursuit la praticienne en hypno-analgésie. D'où l'utilisation de protocoles d'antalgie et d'évaluation de la douleur, mais aussi l'importance de connaître et de tenir compte des différentes peurs liées au développement psychomoteur, affectif, émotionnel et relationnel de l'enfant (peur de l'inconnu, peur de la séparation, peur de l'irréversibilité des atteintes corporelles, peur de la mort…).
À chaque tranche d'âge une façon de faire
Ainsi, en fonction des âges, les réponses soignantes seront différentes mais toujours doubles tant au niveau de l'anxiété que de la douleur
, a insisté l'IDE puéricultrice. Et de poursuivre : À chaque fois, la prise en charge en charge associe des moyens médicamenteux de prévention de la douleur (voir encadré) et d'autres approches non-médicamenteuses : actions d'accompagnement, de distraction, d'information préalable de l'enfant/adolescent/parents, d'hypno-analgésie, massages… Souvent, nous effectuons les soins en binôme (auxiliaire de puériculture pour l'accompagnement de l'enfant et le soutien à la parentalité + puéricultrice)
. Charlotte Bevis suggère aux soignants d'endosser la posture de chef d'orchestre bienveillant
et de veiller à la mise en œuvre des différentes conditions qui permettront la réalisation d'un soin de qualité.
- Pour les enfants de moins de deux ans, les peurs sont celles de l'inattendu, de l'inconnu, de l'étranger (- 9 mois), des sensations douloureuses (16-18 mois). De fait, le soignant doit inclure systématiquement la personne de référence (parents/réassurance), ce qui sous-entend de l'informer, de la considérer comme un partenaire, tout en contenant son anxiété. Avec ces tout-petits, l'anticipation doit s'effectuer dans l'immédiateté du soin. L'approche doit être progressive autant dans les gestes que dans les paroles (dire ce que l'on est en train de faire). Les processus de régulation (succion, regroupement, contact corporel, contenance physique et verbale) doivent être soutenus avant et pendant le soin. Enfin, le soignant doit veiller à un bon équilibre entre le regroupement des soins, la stimulation distractive et la stabilité émotionnelle du nourrisson (seuil de tolérance).
- Entre 2 et 7 ans, la douleur reste incompréhensible et attribuée au
méchant
soignant. On observe un grand nombre de comportements d'évitement et les peurs sont surtout liées à l'éveil de l'imaginaire (peur des animaux sauvages, des créatures imaginaires, des objets inconnus…). La répétition des douleurs conduit à la réactivation d’une sensation déjà éprouvée, le renforcement de la perception douloureuse et à la majoration de l'anxiété d'anticipation (conditionnement). Ainsi, plus l'enfant a eu mal, plus il y a de probabilité qu'il ait de nouveau mal. De même, plus l'enfant a peur, plus la douleur risque d'être majorée. D'où la nécessité de donner une information adaptée à l’âge et à la demande de l’enfant par le jeu, par exemple en utilisant des supports d'information (poupées…). À noter qu'afin de répondre à la première peur, celle de la séparation, la présence des parents s'avère nécessaire. Il convient également de questionner le vécu antérieur et de proposer ensuite quelque chose de différent en créant du lien. Autres suggestions : ne pas chercher à obtenir systématiquement et forcément leoui
(le "non" étant normal à cet âge-là) ; utiliser la négociation avec des limites rassurantes ; favoriser une participation active pendant le soin ; repérer enfin l’enfant qui n’a pas peur afin de ne pas sur-rassurer. - Entre 7 et 11 ans, si le
mauvais
vient encore de l'extérieur, les peurs deviennent plus réalistes (accidents, punitions, mort). Le lien douleur/maladie/mort engendre des peurs. L’information doit donc être plus explicite. Il convient de préciser la non-dangerosité du soin ainsi que les moyens antalgiques. Par ailleurs, l’infirmier doit inviter l’enfant à faire le lien avec ses représentations et ses vécus. Face aux patients de cette tranche d’âge, le soignant doit en outre particulièrement soigner son vocabulaire et sa posture (par exemple position basse afin d’anticiper la participation au soin et aller dans le monde de l'enfant). Le soignant peut aussi commencer à travailler la différence anxiété/peur-douleur et douleur. - Enfin, passé 12 ans, on observe, après une
période de latence
, une certaine maîtrise du corps et de l’environnement. Les adolescents sont ainsi à même de comprendre la douleur comme la conséquence d’un geste douloureux ou d’une maladie. Leurs peurs spécifiques sont davantage liées à l’entourage social : jugement négatif, rejet, échec scolaire… Les soignants doivent donc privilégier l’écoute (de questions éventuelles) tout en laissant venir s’il n’y en a pas de formulées ; expliquer sur demande (faire des liens car besoin de comprendre, de garder le contrôle), ou encore soutenir leur stratégie de gestion de leur douleur que cela passe par l’isolement, le mutisme, ou bien un flot de paroles, le contrôle ou l’abandon, un besoin spécifique ou pas (Emla®, Meopa, distraction…). A contrario, il ne faut pas imposer mais plutôt rechercher l’autonomie et la valorisation des ressources.
Des solutions même dans les situations difficiles
Toutefois, les choses peuvent parfois être amenées à se compliquer et les soignants se sentir en difficulté. C’est le cas par exemple dans un contexte de maladie chronique, lors de la répétition de gestes douloureux, lors d’une expérience négative (contention par plusieurs soignants, vécu émotionnel négatif, isolement dans le soin, antalgie insuffisante) ou encore à l’occasion d’une peur intense. Mais là encore, des solutions sont à leur portée. Parmi elles : le travail à distance du soin avec l'équipe pluridisciplinaire pour l’enfant et sa famille (+/- accompagnement pendant le soin) ; l’importance du lien relationnel avec l’enfant et sa famille ou encore la formation, notamment aux méthodes non-médicamenteuses.
Moyens médicamenteux de prévention de la douleur sur prescription médicale
Parmi les moyens médicamenteux de prévention de la douleur, on retrouve notamment :
- Produit contenant des anesthésiques locaux (type Emla®, crème et/ou patch) ;
- Les mélanges équimolaires d’oxygène et de protoxyde d’azote (ou MEOPA), dont l'efficacité est rapide (3 minutes), la réversibilité immédiate (5 min), avec une bonne acceptation du masque ;
- Les solutions sucrées pour les enfants de moins de six mois ;
- Des antalgiques en prémédication à donner avant le soin en respectant le délai et la durée d'action (par exemple Nubain® + Hypnovel®), la morphine (pour les pansements de brûlures, de plaies profondes par exemple), la kétamine…
Il existe des protocoles souvent communs à plusieurs centres hospitaliers (cf site pediadol.org, recommandations Afssaps 2009). Toutefois, il existe encore une inégalité de prescriptions entre les services.
Valérie HedefJournalisteD’après l’intervention de Charlotte Bevis lors de la plénière sur la prévention de la douleur induite dans le cadre de la 2e journée du réseau Interclud Occitanie organisée à Carcassonne le 28 septembre 2021.
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