Loriane Previte, étudiante en soins infirmiers à Saint-Etienne, nous livre une interrogation vécue lors de son premier stage : pourquoi un patient "isolé" dans sa chambre pour BMR sur sonde vésicale à demeure, prend-il ses repas avec les autres et ce, sans aucune précaution particulière...
"L'étonnement" ou comment des étudiants en soins infirmiers racontent leurs premiers questionnements en stage
Formatrices dans un institut de formation en soins infirmiers Croix-Rouge à Saint-Etienne, Pascale Brisse et Zohra Messaoudi ont demandé à leurs étudiants de 1ere année, dans le cadre de l'unité d'enseignement "Hygiène et infectiologie", de réaliser une analyse de situation à partir d'un "étonnement" vécu lors de leur premier stage. Elles nous en proposent trois - parmi ceux jugés les plus pertinents - que nous publierons au cours des trois prochains mois. Voici le premier, signé de Loriane Previte, et merci pour ce partage. Il serait en effet dommage que ces réflexions de profanes restent anecdotiques.
Lire le deuxième texte publié le 29 avril 2015 : Les mesures d'hygiène peuvent-elles être « adaptées » ?
Lire le troisième texte publié le 8 juin 2015 : "Quid du linge « non adapté » pour les toilettes"
Le contexte de départ...
Je suis actuellement en première année en institut de formation en soins infirmiers. Ma première affectation de stage se trouve dans un service de long séjour et lieu de vie. Dès mon arrivée, je rencontre la cadre de santé qui m’explique le déroulement de mon stage : une semaine avec l’équipe aide-soignante puis, le reste de mon stage avec les infirmiers du service.
Lors de mon deuxième jour de stage, je suis en poste du matin. Après la relève faite avec le personnel de nuit, les aides-soignantes préparent la tournée des soins de nursing. Elles ont à leur disposition un chariot de soins avec tout le matériel utile pour les toilettes ainsi que des classeurs de soins avec des fiches spécifiques à chaque résident. Je suis mon aide-soignante référente lors de ses toilettes et, avant d’entrer dans chaque chambre, je prends connaissance des fiches de soins des résidents. Elles me permettent d’avoir des informations pour comprendre la prise en charge de chacun. Arrivée au dernier résident - Monsieur G.-, l’aide-soignante me prévient qu'il est en isolement. Il présente en effet une bactérie multi résistante et il faut prendre des précautions spécifiques. Devant sa chambre est donc installée une étagère avec des sur blouses, des gants à usage unique et sur sa fiche de soin est noté en rouge surlignée « BMR » (bactérie multi-résistante). Nous effectuons le soin et ressortons de la chambre en ayant pris les précautions nécessaires. La tournée de nursing ayant été effectuée, nous rangeons le matériel.
L'heure de l'étonnement...
Nous arrivons à l’heure du repas où nous devons installer les résidents en salle de vie pour qu’ils prennent ensemble le déjeuner. A mon plus grand étonnement, nous allons chercher Monsieur G. et l’installons avec les autres résidents.
- Une multitude de questions me viennent alors à l’esprit :
- pourquoi n’est-il pas en isolement ? ;
- pourquoi prendre autant de précautions lors de la toilette et si peu lors du repas ? ;
- quels sont les risques pour les autres patients ? ;
- n’ai-je pas remarqué de précautions mises en place lors du repas ? ;
- est-ce que la BMR est sur le point d’être traitée ?
- Je décide d’axer mes recherches :
- identifier la BMR ;
- son mode de contagion ;
- le traitement approprié ;
- les mesures d’hygiène liées au service pour lutter contre les BMR ;
- les raisons pouvant justifier que monsieur G. ne soit pas en isolement durant les repas.
- Pour trouver des éléments de réponse je vais :
- m’appuyer sur mes connaissances théoriques ;
- questionner l’équipe ;
- faire des recherches sur le dossier du patient ;
- rechercher des protocoles liés à l’hygiène et aux précautions face à une BMR.
Pour structurer mes idées je vais m’intéresser dans un premier temps à la BMR, son traitement et les mesures d’hygiène qui lui sont allouées. Dans un second temps, je m’intéresserais au cas du résident dans sa globalité, ce qui me permettra, pour finir, d’avoir un maximum d’informations pour bien comprendre ce cas.
Enquêter pour comprendre...
D’après l’unité d’enseignement d’infectiologie et d’hygiène, une « BMR » est un micro-organisme d’une « virulence élevée et d’une forte pathogènicité » très facilement transmissible. Un patient fragile peut être infecté par ses propres germes, directement par un autre patient infecté ou par un autre patient infecté mais par l’intermédiaire des mains d’un personnel. Dans 90% des cas, la transmission se fait par contact direct (lors des soins ou lors du transport des patients). Les conséquences pour les patients infectés sont lourdes. Elles ont en effet un impact tant sur le plan physique (complication sur la santé, augmentation du nombre d’examens, traitements par antibiotiques…), que psychologique (moral en baisse, inquiétude des proches…), qu’économique (augmentation du prix des soins). On comprend donc l’importance de ne pas transmettre cette bactérie multi résistante à un autre patient. D’autre part, il y a différents modes de transmission : manuportée, aéroportée… d’où l’importance de savoir sa dénomination1.
Afin de trouver les éléments manquants, je parle de mon questionnement à l’équipe. Je leur demande si je peux avoir accès au dossier de soin du patient, ainsi qu’a toutes autres informations pouvant m'aider à mieux comprendre cette situation comme un classeur relatif aux protocoles d’hygiène par exemple. Mon infirmière référente me dirige dans la salle de soin et m’autorise l’accès à tous ces documents. Dans le dossier de soin de Monsieur G., il est noté que le patient est porteur d’une sonde vésicale à demeure. Le 30 septembre 2014, les infirmières du service ont effectué un prélèvement bactériologique sur le système de drainage vésical sur prescription médicale ; un examen cytobactériologique fait par le laboratoire d’analyse et qui a révélé : « Escherichia coli ». La dénomination de cette bactérie me permet de savoir son mode de transmission, son traitement. Le mode de transmission de cette bactérie multi-résistante est manu-porté, l’infection se localise au niveau des urines. C’est l’agent pathogène le plus fréquent pour les infections urinaires2.
Je me renseigne ensuite sur le traitement de Monsieur G. par rapport à sa BMR. Sur sa prescription médicale, il est noté de manière claire et précise "qu’il doit être isolé". Son traitement est un antibiotique « Gentamicine ®». Cela fait une semaine que le patient est traité contre cette bactérie. Je comprends d’autant plus les précautions qui ont été prises lors de la toilette mais je reste dans l’incompréhension en ce qui concerne la prise du repas. Je continue donc mes recherches sur les protocoles d’hygiène du service. Un classeur spécifique est mis à disposition dans la salle de soin. Il a été réalisé par les membres du CLIN (Comité de lutte contre les infections nosocomiales)3.
Je m’intéresse alors aux fiches relatives aux BMR. Trois d'entre elles me paraissent être essentielles :
- conduite à tenir pour maîtriser la transmission croisée :
- mise en place de précautions standards et complémentaires
- vérification par l’Equipe Opérationnel Hygiène (EOH) de cette mise en place
- renseignement de l’alerte dans médical Object (fait par le médecin)
- levée en concertation avec l’EOH
- transmission de l’information du portage d’une BMR :
- alerter pour permettre la prise en charge adaptée d’un patient porteur d’une BMR
- mesure de prévention contre la transmission des infections :
- hygiène des mains
- gel Hydro-Alcoolique
- équipement de protection sur blouse
- Sir ces fiches, il est clairement identifié la conduite à tenir face à une BMR mais rien n’est spécifié en ce qui concerne les repas.
Enfin une réponse à mes interrogations...
Je décide de pousser mes recherches sur la prise en charge globale de Monsieur G. ainsi que sur le fonctionnement du service afin d’apporter d’autres éléments de réponse. Monsieur G. atteint d’une maladie orpheline DEVIC est âgé de 57 ans. Il est aveugle et paraplégique. Il a une aide totale pour sa toilette ainsi que pendant la prise du repas. Il est entré dans le service car ses parents ne pouvaient plus s’en occuper. Son projet de vie est axé sur la socialisation. Le seul moment où il est en contact avec les personnes autres que les soignants est le moment du repas.
J’ai parlé de cette situation à plusieurs personnes de l’équipe pour confirmer ce que j’avais lu auparavant. Monsieur G. ayant une BMR transmissible par les urines, les risques encourus pour les autres résidents sont très minimes. De plus, le service est un service de long séjour et de ce fait un lieu de vie. Le risque de transmission lors du repas restant relativement faible, l’équipe soignante a pris la décision avec le médecin, de privilégier la prise de repas commune avec les autres résidents.
J’ai décidé de parler de cette situation, car elle m’a beaucoup apporté. Tout d’abord, elle m’a permis de faire mes premiers liens entre la théorie et la pratique, ce qui était mon objectif de stage. Elle m’a aussi permis de prendre du recul et de ne pas porter de jugement. Je me suis questionnée sur mes connaissances et la manière dont je devais m’en servir. Grâce à cette situation, j’ai dû chercher des informations dans le dossier médical du patient et surtout les interpréter. J’ai pris conscience de toutes les démarches mises en œuvre dans le service ainsi que dans le monde soignant, pour rompre la chaîne de transmission des agents infectieux. Pour finir, cette situation met en évidence la complexité du métier infirmier au travers des choix privilégiés pour la sécurité et le bien-être des patients.
Notes
- Cours d'infectiologie : "Infections associées aux soins", Dr I. Martin, unité d'Hygiène inter-hospitalière, CHU Saint-Etienne, septembre 2014.
- Cours d'infectiologie : "Mécanismes des agents infectieux bactériologiques et antibiotiques", Dr I. Martin, unité d'Hygiène inter-hospitalière, CHU Saint-Etienne, septembre 2014. Cours d'infectiologie "Les bactéries", Ifsi Limoges, 2011.
- Cours d'infectiologie : "Institutions de la lutte contre les ias", Dr I. Martin, unité d'Hygiène inter-hospitalière, CHU Saint-Etienne, septembre 2014.
Loriane PREVITE Etudiante en soins infirmiers, 1ere année Croix-Rouge Formations, Rhône-Alpes, Saint-Etienne
REFONTE DE LA FORMATION
L'idée d'un tronc commun en master hérisse les infirmiers spécialisés
ÉTUDES
D’infirmier à médecin : pourquoi et comment ils ont franchi le pas
VIE ÉTUDIANTE
FNESI'GAME : l'appli qui aide les étudiants infirmiers à réviser
PRÉVENTION
Des ateliers pour préserver la santé des étudiants en santé