La fin de l’année scolaire en Ifsi a sonné, c'est donc l’heure de faire le bilan des différents semestres écoulés et du cursus de formation dans son entier. Les étudiants en soins infirmiers de 3e année portent donc ici un regard sur leur parcours de formation et l’acquisition des compétences en stage. Tout un programme, n'est-ce pas ?
Trois années s’achèvent… Trois années riches en émotion, en découverte et dans la construction de sa professionnalisation. Mais aussi trois années où il a fallu se battre, défendre ses intérêts, expliquer la logique du référentiel de formation et parfois crier très fort pour réussir à se faire entendre et faire évoluer les représentations des soignants.
Pour mieux illustrer nos propos, nous vous proposons de suivre le parcours de stage de Clémentine, personnage fictif, et représentative de l’expérience de plusieurs étudiants.
Clémentine vient d’avoir son baccalauréat, lorsqu’elle intègre l’institut de formation en soins infirmiers. Elle est heureuse de pouvoir enfin se former dans le métier qu’elle a choisi, pour ses valeurs humaines, le travail en équipe et la technicité des actes à réaliser. Elle attend avec impatience son premier stage pour savoir si ses représentations de la profession vont correspondre à ses aspirations. Elle nous raconte son histoire au rythme des semestres et des aventures en stage.
Semestre 1 : une remarque élogieuse mais aucune compétence de validée
Enfin, après une nuit de cauchemars, me voilà arrivée sur mon premier lieu de stage. Il est 6 h du matin, je suis en avance, comme me l’a demandé la responsable de la structure lors de notre première rencontre. La porte est fermée à clé. Je ne sais pas par ou passer. Je trouve une sonnette. J’essaie… Personne ne répond. J’attends… Il est 6 h 25 et des voitures arrivent. Je vois des silhouettes qui viennent vers moi. Ouf ! La gouvernante m’ouvre la porte et me conduit à la salle de soins. Elle a le sourire et me souhaite la bienvenue.
Les soignants sont chaleureux et m’encadrent en m’expliquant les gestes que je dois faire. Les heures passent très vite, les journées aussi et les cinq semaines de stage se terminent. Mais avant de partir, mon tuteur me propose un rendez-vous pour remplir mon rapport de stage. Il me demande de venir avec mon portfolio , en ayant déjà réalisé une autoévaluation de mes compétences. L’échange est intéressant et correspond en tout point à ce qui nous a été présenté par les formateurs à l'Ifsi.
Le tuteur me félicite pour mon attitude et pour la qualité de mon travail. Il me rédige une appréciation élogieuse. Puis, il m’explique qu’à l’issue de ce premier stage, il ne peut pas me valider les éléments des compétences 1, 2, 3, 6, 7, 9 car je ne suis qu’au début de mon parcours. Je ne dois pas m’inquiéter, c’est tout à fait normal d’avoir une croix dans la case « à améliorer ». Je repars du stage le sourire aux lèvres, satisfaite de moi et du message qui m’a été délivré. »
Les soignants sont chaleureux et m’encadrent en m’expliquant les gestes que je dois faire...
Semestre 2 : la chasse aux signatures
Deuxième stage, 10 semaines. Ici, les étudiants de semestre 2 ne travaillent qu’avec les aides-soignantes. Après avoir validé les soins d’hygiène et de confort, elles me laissent seule. Un secteur de soins m’est confié et je travaille en toute autonomie. D’un côté, c’est valorisant et je suis fière de moi et de la confiance que l’on m’a accordée au bout de 15 jours. Mais d’un autre, il y a des matins ou c’est un peu chaud… Heureusement, que j’ai internet à la maison et certains cours pour ajuster mes interventions car, sur le lieu de stage, tout le monde est débordé et je n’ose pas déranger ! Les soignants courent tout le temps. Il y a un manque de personnels et une charge de travail importante. J’ai beaucoup de mal à faire tracer mes soins sur mon dossier de suivi. Tout le monde me dit oui, je le ferais avec les transmissions, ou cette nuit…
. Mais le lendemain il n’y a toujours rien.
Je commence un peu à stresser car mon tuteur me mets la pression en me disant qu’il ne pourra pas valider ni la compétence 3, ni la 6 si les aides-soignantes n’ont rien écrit. Alors je pars à la chasse aux signatures et aux appréciations. Je remarque que personne ne veut écrire. Le plus souvent les soignants me disent : tu dois bien travailler car les patients t’apprécient. Mais je ne te vois jamais. Je ne peux donc pas écrire quelque chose car j’engage ma responsabilité.
Heureusement, un formateur vient me voir sur le lieu de stage. J’ai le courage de lui expliquer la situation. Il en parle alors au maître de stage ainsi qu’aux professionnels de proximité qui sont présents ce jour-là. J’ai enfin des éléments notés sur mon document de suivi. Petit à petit, j’ai le sentiment de faire toujours la même chose. Il y a une part de l’activité qui m’est totalement inconnue. Malgré mes sollicitations, la fonction infirmière est totalement inaccessible. C’est comme une montagne infranchissable, une face cachée dans laquelle il faudra que je creuse un souterrain avec des cheminées de décharge pour pouvoir remonter à la surface et espionner l’exercice infirmier. Personne ne semble comprendre que je souhaite être une infirmière et pas une aide-soignante. Mon tuteur me valide les compétences 1, 3 et 6.
La fonction infirmière est totalement inaccessible. C’est comme une montagne infranchissable, une face cachée dans laquelle il faudra que je creuse un souterrain avec des cheminées de décharge pour pouvoir remonter à la surface et espionner l’exercice infirmier.
Semestre 3 : toujours quelque chose à apprendre...
Je débute mon troisième stage pour 10 semaines en psychiatrie, en pavillon d’admission. Je découvre un nouveau monde et surtout le travail infirmier. L’équipe est formidable. Lors de mon accueil pédagogique, mon tuteur me transmet un livret et fixe des objectifs pour les deux premières semaines de stage. Il me remet un classeur avec les spécificités du service ainsi que les pathologies prévalentes. Il guide mes recherches et m’encourage à prendre différents rendez-vous vers des acteurs de l’équipe pluridisciplinaire. Nous construisons ensemble un parcours de stage. Il me précise ses attentes et programme les différents rendez-vous pour faire le point et faire évoluer les objectifs de stage ceci tous 15 jours.
Les professionnels de proximité répondent facilement à mes questions, ils prennent le temps, m’aide à repérer les signes cliniques des patients et interpellent ma pratique relationnelle en me donnant des pistes de réflexion. Pour la première fois, je trouve des infirmiers qui correspondent à ma représentation du métier. Malheureusement, je suis déçue lors de la rédaction de mon rapport de stage. Mon tuteur me confirme que j’ai réalisé un super stage, mais ne me valide aucune compétence. En effet, selon lui, personne n’est compétent. Nous avons toujours quelque chose à apprendre. Nous nous formons tout au long de notre vie professionnelle. Toutes les situations de soins sont singulières et demandent une adaptation constante. Je repars du stage avec une bonne appréciation mais que des éléments de compétences cochés toujours dans la case « à améliorer ».
Pour la première fois, je trouve des infirmiers qui correspondent à ma représentation du métier. Malheureusement, je suis déçue lors de la rédaction de mon rapport de stage...
Semestre 4 : la pression monte...
Avant de partir en stage je rencontre le formateur référent de mon suivi pédagogique. Nous faisons le point ensemble sur les compétences acquises. Il me met en garde sur le peu de validation malgré les bonnes appréciations. Selon lui cela n’est pas suffisant pour pouvoir passer en troisième année. Si le rapport de stage prochain ne montre pas une évolution je devrais faire un stage de rattrapage… Je commence à mesurer les enjeux. Difficile de me dire que mes trois premier stages ont tous été "super" mais insuffisants en terme de validation. Les soignants ne se sont pas engagés et semblent avoir préférer laisser la responsabilité des validations à l’équipe suivante. Mais en fin de course c’est moi qui suis pénalisée.
La course aux validations
Stage pour 10 semaines dans un service de médecine interne. L’accueil pédagogique fixe rapidement le cadre. Mon tuteur confirme mon retard (pourtant je n’y suis pour rien...). Je commence par une semaine exclusivement avec les aides-soignantes afin de valider la compétence 1 et 3. Puis, j’accède enfin aux activités d’une infirmière. L’équipe m’explique la manière de réaliser des injections, des pansements ainsi que différents actes techniques… La course à l’acte commence, la course aux signatures aussi… Bref, je n’ai plus le temps de lever la tête du guidon.
Chaque professionnel de proximité que je rencontre ne comprend pas pourquoi je n’ai jamais vu ou jamais fait tel ou tel acte…. Cette fois j’ai compris. Il y a deux vitesses dans la formation : celle de la 1ere année où tout le monde te dit que tu as le temps de valider et celle de la 2ème année où en quelques jours tu as pris un retard énorme…
Il faut maintenant se battre, courir partout, faire un nombre incalculable de recherches dont aucun soignant ne te demande le résultat, mais il faut chercher, chercher et encore chercher…. Venir avec de gros dossiers sous le bras, se taire et faire, faire, faire…. pour être sûr de valider. Tu es épuisée à la fin du stage, mais tu as gagné tes validations d’éléments de compétence. »
La course à l’acte commence, la course aux signatures aussi… Bref, je n’ai plus le temps de "lever la tête du guidon...
Semestre 5 : le portfolio c’est du chinois...
Je décide de faire un stage en courte durée, en service de chirurgie pour compléter mes acquisitions mais aussi renforcer les gestes que j’ai déjà appris. J’espère pouvoir accéder à la partie administrative de l’activité soignante car cela me fait un peu peur. Je trouve que les infirmières y passent beaucoup de temps. J’aurais peut-être la chance de suivre et relever une visite médicale… L’accueil pédagogique me permet de verbaliser mes demandes. Mon tuteur en tient compte pour construire mon parcours d’apprentissage. Il me fixe des objectifs pour l’ensemble du stage, avec les éléments spécifiques à l’activité d’une infirmière en chirurgie. Malheureusement, il tombe malade au moment de l’évaluation de mi-stage. Le soignant qui le remplace me signale que pour lui les items du rapport de stage sont incompréhensibles. En prenant le document de suivi, il remarque que ses collègues ont noté seulement "OK". Pour lui cela ne veut rien dire et la remarque générale n’est pas en lien avec les items du rapport de stage (ou le portfolio ). Il me précise qu’un soignant est un humain avec ses limites et que nous ne sommes jamais « top » tous les jours.
Alors je ne dois pas espérer valider. La formation est une longue route de tous les jours…. (A ce rythme-là je ne suis pas prête de finir mes études !!!). Je décide d’aller en parler au formateur référent du terrain de stage. Sur ses conseils, je prends rendez-vous avec le maître de stage et présente en argumentant mon questionnement. Mon tuteur finira par revenir avant la fin de mon stage… pour me valider presque l’ensemble des items des compétences. Un vrai bonheur. Enfin un professionnel qui comprend l’enjeu du référentiel et la pression que vivent les étudiants. Mais que de stress !!!
Malheureusement, mon tuteur tombe malade au moment de l’évaluation de mi-stage. Le soignant qui le remplace me signale que pour lui les items du rapport de stage sont incompréhensibles.
Semestre 6 : l’heure de la rentabilité a sonné...
Mon stage professionnel se déroule en deux parties. Tout d’abord, dans un service d’accueil et d’urgence, puis à l’étranger avec une ONG sur le territoire africain.
Premier jour de stage aux urgences. Dans le regard des soignants, je perçois vite que comme étudiante de fin de formation je n’ai pas le droit à l’erreur. Deuxième prise en soins d’un patient et le soignant me reproche de ne pas savoir faire un ECG. Le refrain habituel est vite de sortie : de mon temps… vous ne savez rien faire... vous ne faites que réfléchir…. Ce n’est plus comme avant… Il faut vite te prendre en main…. Maintenant tu devrais pouvoir remplacer une infirmière.
Comme souvent, la chanson finie, le soignant quitte la pièce sans me donner un conseil et va vite informer tout le monde que la stagiaire ne sais rien faire… Le ton est donné… Le patient me regarde… Certains d’entre eux rassurent et me mettent en confiance, d’autres sont inquiets de mon manque de connaissances. Nous sommes formés en fonction de certaines valeurs propres à la fonction de soignant mais elles ne semblent pas s’appliquer dès qu’il s’agit de former un de ses futurs pairs… Etrange comme philosophie, non ?
A ma sortie du box, l’interne me fait un cours sur l’ECG, le même que celui que j’ai relu hier soir… Il est dommage que personne ne souhaite m’accompagner et me guider. Les seules réponses sont « tu es en stage pro tu devrais savoir. Qu’as-tu fais avant ? » Vivement que la journée se termine et que je découvre demain une nouvelle équipe, en espérant que le planning n’ait pas changé. Le lendemain, je prends les devants et explique, après les transmissions, que je n’ai jamais fait de stage dans un service d’urgence. J’ai donc besoin de comprendre leur activité et repérer leur mode de prise en soins afin de découvrir leur spécificité. Une infirmière (sur cinq) me propose de passer la journée avec elle et de la suivre pendant deux, trois jours. Je ne sais vraiment pas comment la remercier car elle aura été le vrai rayon de soleil de mon stage. Avec elle j’ai appris, j’ai surtout mesuré les enjeux liés aux situations d’urgence.
J’ai essayé autant que possible de modifier mon planning pour travailler avec elle, car sinon le reste du temps, j’ai vécu un réel enfer. Les feuilles de suivi témoignent de ma progression ainsi que des soins que j’ai validé. Mais mon tuteur ne souhaite pas valoriser les éléments notés par ses collègues. Pour lui je ne suis pas assez rentable… Même si je prends en charge seule la majorité des patients. Pour lui ce n’est pas un signe car personne ne sait ce que je fais dans le box. J’ai envie de crier pourquoi n’êtes-vous pas venu me voir ? Pourquoi m’avoir dit que je devais travailler comme une infirmière ? Que je devais devancer le travail ?
Alors je suis rapidement « harcelée » de questions : sur l’hygiène, les techniques de soins en passant par l’équilibre acido-basique... je dois prouver mes connaissances… Un mauvais moment à passer pour moi car lui semble savourer la situation. Il faut l’interruption d’un collège, que je ne connais pas, pour que l’interrogatoire se termine. Dur, dur, la vie de stagiaire… Malheureusement pour lui, il ne pourra pas justifier, à ma demande, devant le maître de stage, les non validations préalablement notées. Le rapport de stage sera réajusté au regard des éléments notés dans ma feuille de suivi. Voilà un support précieux.
Semestre 6 : enfin le bonheur d’être reconnue comme une infirmière !
Je pars six semaines en terre africaine. Changement de décor, de culture et d’approche du patient, mais aussi du stagiaire. L’infirmier du dispensaire me considère comme une collègue, une ressource. Nous travaillons ensemble et assurons les gardes en parallèle. Enfin je suis reconnue comme une professionnelle. Il ne dit rien mais cela se voit dans son attitude, dans son regard, dans ses gestes. Il me laisse de l’autonomie et me permet de mesurer toute l’ampleur de la responsabilité de mes actes et de mes choix infirmiers. Je sors grandie de ce stage et je suis prête à rechercher un poste pour débuter mon exercice infirmier.
Pour conclure
En tant que formateur, certain soir, il est difficile de rentrer chez soi sans interroger notre cœur de métier et la manière dont les infirmiers transmettent leur savoir professionnel aux étudiants. Le choc des valeurs, des conceptions laissent parfois sans voix. Heureusement, il y a des soignants qui vont à la rencontre de leur futur collègue. Ils les guident et les accompagnent dans une co-construction de leur métier d’infirmier. Chacun peut certainement se retrouver dans les différents messages transmis par les étudiants. A nous professionnels de savoir rebondir et faire évoluer nos pratiques actuelles et ce, pour le bien de notre profession.
Une infirmière (sur cinq) me propose de passer la journée avec elle et de la suivre pendant deux, trois jours. Avec elle j’ai appris, j’ai surtout mesuré les enjeux liés aux situations d’urgence.
Isabelle BAYLE Cadre de santé infirmier Ifsi de Savernes isabelle.bayle@gmail.com
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