Le rapport 2011 du SIDIIEF propose une étude comparative des formations infirmières dans les pays francophones et une comparaison à l’échelle mondiale, dans un contexte actuel de révisions et d’évolutions des formations infirmières.
Le SIDIIEF (Secrétariat International Des Infirmières et Infirmiers de l’Espace Francophone) a publié en Mars 2011 la mise à jour du rapport sur les analyses et la mise en contexte des profils de formation infirmière dans les différents pays de l’espace francophone en 2010.
Réalisé en collaboration avec la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal, il a pour but de compléter et approfondir l’analyse des profils de formation infirmière et de les contextualiser.
Il s’appuie sur un précédent rapport de 2008, portant sur les profils de formation en soins infirmiers, réalisé avec la Faculté de sciences infirmières de l’Université Laval (Québec).
Ce rapport pointait déjà l’hétérogénéité de la formation initiale et post-diplôme des infirmières au sein de l’espace francophone, notamment en ce qui concerne l’intégration universitaire et les formations de 2ème et 3ème cycles.
Il constatait également une carence dans la recherche en soins infirmiers, puisque seul le Québec proposait une formation de 3ème cycle en sciences infirmières.
Rappelons que le SIDIIEF est une ONG (Organisation Non Gouvernementale) dont la mission principale est de faciliter le partage des expériences et des savoirs infirmiers à travers le monde francophone. Son but est de contribuer à la qualité des soins et des services offerts aux populations.
1. Contexte, caractéristiques et limites de l’étude
La première étude descriptive sur les profils de formation en soins infirmiers publiée en 2008 par le SIDIIEF, en collaboration avec l’Université Laval (Québec), comportait 20 « fiches pays » de synthèse des formations infirmières dans l’espace francophone et 3 fiches résumant la formation initiale des 2ème et 3ème cycles et des spécialisations.
Ces fiches comportaient également des informations telles que les conditions d’admission, la durée des études ou encore l’appellation du diplôme permettant de comparer la formation, le statut et la fonction des infirmier(e)s dans les différents pays.
Dans l’étude 2010, les « fiches pays » ont été mises à jour, les profils de formation infirmière ont été rapportés aux situations politiques et sanitaires nationales et l’espace francophone a été comparé aux profils de formation infirmière à l’échelle mondiale.
L’étude s’est faite via des questionnaires remplis par des « infirmiers experts » de chaque pays. Tous comportaient des entrées sur les conditions d’accès à la formation initiale, la durée et la teneur de celle-ci, mais aussi sur l’intégration ou non de la formation à l’université.
L’étude a été complétée par une analyse des programmes de formation d’une dizaine de pays, des interviews de membres-clefs du SIDIEEF, des recherches documentaires et internet.
Ce rapport est donc une mise à jour des évolutions de la formation depuis 2008, c’est pourquoi il est centré sur la présentation des changements intervenus dans les différentes formations infirmières au cours des deux dernières années, que ce soit en en terme de formation initiale, post-diplôme ou universitaire (2ème et 3ème cycles).
Rappelons également que cette étude concerne 20 pays, tous francophones, allant du Canada (avec une distinction entre Québec et les autres provinces canadiennes) au Liban, en passant par Madagascar, le Maghreb, la Roumanie ou encore l’Afrique Subsaharienne (RDC, Mali, Sénégal, Côte d’Ivoire, etc.).
Cependant, il est à noter que le rapport 2008 émettait déjà une mise en garde importante concernant la non reconnaissance du titre d’infirmière d’un pays à un autre : le présent document ne permet pas à une infirmière de situer sa formation par rapport à celle d’un autre pays.
Il est aussi à préciser que le rapport est fortement teinté de l’empreinte canadienne et québécoise de la formation infirmière, ayant été réalisée par l’Université de Montréal et ce, malgré un effort certain d’objectivité.
2. Points communs
2.1. Critères d’admission à la formation initiale : en général, le niveau Bac
Globalement, les critères d’admission et le nombre d’années d’études permettant d’accéder à la formation initiale sont relativement homogènes dans l’espace francophone.
Rappelons que le rapport de l’OMS (WHO 2009) soutient la nécessité du baccalauréat pour accéder à la profession. Cependant, chaque pays doit tenir compte des facteurs propres à son territoire (cursus donnant accès aux programmes de formation, normes et croyances culturelles).
L’exigence du baccalauréat peut poser le problème de l’accès à la profession et diminuer à terme le nombre d’infirmière.
Dans la plupart des pays, il faut un baccalauréat pour accéder à la formation, ce qui équivaut à environ 13 années d’études : 12 ans en France, au Mali ou encore en Roumanie, jusqu’à 15 ans au Gabon.
Toutefois, certains pays autorisent l’accès à la formation initiale après un brevet (Burkina Faso, Liban, Mali) ou un Diplôme d’Etudes Spécialisées (Belgique, Québec, Canada).
Dans la majorité des pays, un seul cursus permet d’accéder à la formation initiale infirmière, que ce soit un bac ou un DES (Diplôme d’Etudes Spécialisées). Cependant, au Mali ou au Liban, par exemple, deux cursus sont autorisés pour accéder à la formation initiale infirmière : brevet (9 à 10 ans d’études) ou baccalauréat (12 à 13 ans d’études).
2.2. Durée de formation : jamais inférieure à 3 ans
La durée de formation est généralement de 3 ans, jamais inférieure. Au Canada, au Luxembourg ou encore en Suisse, elle est de 4 ans.
Concernant les spécialités (en France : puéricultrice, IBODE, IADE, cadre de santé), bien qu’elles ne soient pas catégorisées comme en France, on note une certaine uniformité dans la durée de formation. Elle est en moyenne de 2 ans, avec évidemment quelques disparités : 6 mois au Québec, 1 an en Belgique, 3 ans en RDC et au Niger.
2.3. Critères d’admission et durée de la formation : 15 ans d'études en moyenne
Cette homogénéité dans la durée de formation initiale, mais aussi dans le nombre d’années de pré-formation, permet de dire qu’il faut globalement 15 ans d’études pour accéder au titre d’infirmière, dans l’espace francophone.
4 pays ont un cursus de moins de 15 ans correspondant à des cursus professionnels dans des pays proposant 2 possibilités d’accès différentes (Liban, Mali, RDC, Canada). A l’inverse, 14 pays ont des cursus supérieurs à 15 ans, dont le Gabon qui a un cursus de 18 ans.
Des paradoxes subsistent encore. Ainsi, le Québec propose un cursus professionnel de 11,5 ans pour accéder au titre d’infirmière (auxiliaire), alors que son cursus général est de 16 ans. Le Liban et le Mali sont également dans ce cas-là.
Toutefois, le Québec et le Canada sont déjà engagés dans les pratiques avancées infirmières, avec des fonctions différentes selon la formation et le diplôme.
En ce qui concerne les spécialités : il faut compter 15 ans de scolarité au Québec, en Algérie ou en RDC, 16 à 17 en France, Belgique et Luxembourg et jusqu’à 20 ans au Gabon.
Seule la Guinée Conakry ne propose pas de formation aux spécialités mais des discussions sont en cours au niveau du ministère.
Pour harmoniser les pratiques et rehausser le niveau de formation, un certain nombre de pays a d’ailleurs modifié les conditions d’accès au titre d’infirmière, que ce soit en exigeant le baccalauréat (Gabon ou Niger) ou en augmentant la durée de formation (Luxembourg, Mali, Maroc, RDC).
Il faut cependant préciser qu’un nombre d’années d’études, une appellation ou un titre ne présage pas en lui-même de la qualité d’une formation et de son contenu. Des pays ayant les mêmes conditions d’accès et durées d’études pour l’obtention du diplôme d’infirmier ne sont pas pour autant comparables sur le niveau final, le grade, le statut et la fonction des diplômés.
2.4. « Universitarisation » de la formation : en progression
L’étude recense 17 universités de l’espace francophone engagées dans la formation initiale ou post-diplôme infirmière, soit directement, soit en partenariat avec des instituts de formation distincts.
L’intégration universitaire, plus ou moins complète, progresse donc petit à petit, comme le préconise d’ailleurs le SIDIIEF. Cependant, seuls 7 pays (Canada, Roumanie, France, Liban, Suisse, Belgique, Tunisie) sur la vingtaine que compte l’espace francophone, ont commencé ou réalisé cette intégration.
3. Divergences et différences de niveaux
Les conclusions du rapport 2008 sur les profils de formation en soins infirmiers pointait déjà de grandes disparités, concernant notamment les critères d’admission à la formation initiale, l’appellation du diplôme, les possibilités d’accès à des formations universitaires supérieures de 2ème et 3ème cycles ou encore les spécialisations.
3.1. Appellations du diplôme : diverses
Les diplômes décernés sont très hétérogènes : diplôme d’IDE, licence en soins infirmiers, bachelor, brevet d’infirmière, baccalauréat en soins infirmiers, diplôme de technicien supérieur en soins et de santé…
Notons qu’au niveau européen, avec le processus LMD (Licence, Master, Doctorat) issu des accords de Bologne, la plupart des pays décernent maintenant un(e) licence/bachelor en soins infirmiers, avec une intégration (plus ou moins complète et réussie) dans la filière universitaire.
Concernant les spécialités (puéricultrice, IBODE, IADE ou cadre de santé, en France), l’appellation du titre ou du diplôme est aussi variée et hétérogène que pour la formation initiale.
En effet, nous avons aussi bien des assistants médicaux, des attachés en santé, des infirmières spécialisées, que des cadres de santé, des cadres enseignants, des infirmiers accoucheurs ou encore des brevets de techniciens supérieurs spécialisés.
Le rapport ne fait aucune distinction spécifique entre les différentes spécialités reconnues en France, ce qui explique la multiplicité et le mélange des titres et appellations.
3.2. Lieux d’enseignement : variés
Les lieux d’enseignement sont, comme les appellations, très variés selon les pays : école de formation paramédicale, école nationale de santé publique (ENSP), université, institut de formation en soins infirmiers (IFSI), hautes écoles spécialisées, institut supérieur des sciences infirmières ou encore institut de formation aux carrières de santé.
La variété des lieux d’enseignement pouvant également expliquer la variété d’appellations des diplômes et titres décernés (et inversement).
Pour l’enseignement des spécialités, l’étude ne précise pas les écoles ou instituts concernés : est-ce que ce sont les mêmes que pour la formation initiale ?
3.3. Contenus de la formation initiale : pas d'équivalences entre pays
Malgré quelques aspects convergents, les contenus de la formation initiale infirmière sont globalement très hétérogènes dans l’espace francophone.
Le rapport distingue toutefois 3 ensembles relativement cohérents et homogènes compte tenu de l’appellation du diplôme, du contenu et de la durée de formation :
- Baccalauréat/bachelor en sciences infirmières et licence
- Le diplôme d’études collégiales (DEC) et le diplôme d’IDE
- Les autres diplômes
Baccalauréat/ Bachelor / Licence | DEC et Diplôme d’IDE | Autres diplômes | |
---|---|---|---|
Pays concernés | Québec, Canada, Belgique, Suisse, France | Québec, Afrique (Maghreb et Afrique noire) | Mali, RDC |
Caractéristiques générales | Intégration universitaire avec validation de crédits permettant des 2èmes et 3èmes cycles | Diplôme considéré comme technique | Données insuffisantes pour être analysées |
Durée globale de la formation |
Entre 3 et 4 ans | Pas d’accès direct aux 2èmes et 3èmes cycles (expérience ou formation complémentaire nécessaire) 3 ans |
3 ou 4 ans |
Nombre d’heures théoriques et cliniques | Environ 5000 heures de formation, dont au moins 1/3 sont réservés aux stages | Entre 3000 et 5000 heures, dont ¼ à ½ sont réservés aux stages. | |
Profil des enseignants |
Infirmières de cycle supérieur au Canada et Québec, cadres de santé formateurs et médecins en Europe |
Infirmières de cycle supérieur au Québec, infirmières et médecins dans les autres pays | |
Indicateurs de qualité | Processus d’agrément des formations obligatoires, intégration universitaire garant d’une constante mise à jour (par la recherche scientifique) |
Certains diplômes sont soumis à des évaluations par l’état et l’institut d’enseignement. Retards observés au niveau de la formation à la recherche, de l’accès aux outils informatiques, de la collaboration interprofessionnelle. |
Le rapport attire l’attention sur le fait qu’il n'existe en aucun cas un système d’équivalences dans un même ensemble et encore moins entre ces 3 ensembles, même si chacune des formations tend vers les mêmes objectifs : la sécurité et la qualité des soins.
Ces regroupements pourraient permettre ensuite des recommandations ciblées par groupes, pour harmoniser la formation initiale infirmière.
3.4. Formations de 2ème et 3ème cycles universitaires : 3 pays seulement
Seuls 5 pays (Canada, Québec, Côte d’ivoire, Liban Roumanie, Suisse) proposent une formation universitaire de 2ème cycle (correspondant à un niveau Master en France), alors que 3 pays proposent une formation universitaire de 3ème cycle correspondant à un Doctorat (Canada, Québec, Roumanie, Suisse).
Le diplôme obtenu tend à s’homogénéiser : DESS (Diplôme d’Etude Supérieure Spécialisées) ou master pour le 2ème cycle et doctorat pour le 3ème cycle.
Pour être admis, il faut avoir le diplôme ou titre de catégorie inférieure : diplôme d’infirmière pour accéder au 2ème cycle et DESS ou master pour accéder au 3ème cycle, avec plus ou moins une obligation d’expérience professionnelle.
En terme d’années d’études, cela correspond en moyenne à 16 à 17 ans pour accéder au 2ème cycle et 18 à 19 ans pour accéder au 3ème cycle.
Les formations s’échelonnent de 1 à 2 ans pour le 2ème cycle (selon qu’il s’agisse d’un DESS ou master) et de 3 à 4 ans pour le 3ème cycle.
Certains pays, comme la France, sont engagés dans une intégration universitaire et commencent à proposer des formations de 2ème et 3ème cycles universitaires (cf. lancement du premier master en pratiques avancées en soins infirmiers à l’Université d’Aix-Marseille
).
4. Réalités et perspectives
Ces dernières années, la formation infirmière a été marquée par de nombreuses évolutions :
- Importance de l’accès aux nouvelles technologies de l’information (TIC), rappelée par l’Organisation des Nations Unies (ONU) et l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), afin d’éviter la fracture numérique.
- Nécessité d’assurer une éducation primaire pour tous (objectif du millénaire de l’ONU), ce qui aura un impact positif sur la qualité et le niveau de formation infirmière.
- En Europe : accords de Bologne en 1999 et création d’un espace européen de la recherche et de l’enseignement, se concrétisant par le système appelé LMD en France (Licence, Master, Doctorat), avec une lisibilité et une équivalence des diplômes dans la communauté européenne. Cela a initié l’intégration universitaire de la formation infirmière dans l’espace européen.
- Dans les pays occidentaux : la pénurie de professionnels et la volonté d’une meilleure formation des professionnels de santé (afin d’assurer la qualité des soins) ont également poussé à une meilleure reconnaissance du métier d’infirmière et à un rehaussement du niveau de formation de celles-ci (marqué par « l’universitarisation »). Les USA, Le Royaume-Uni, l’Australie, l’Allemagne, l’Islande, l’Irlande, les territoires hispaniques et asiatiques se sont engagés dans cette voie.
Le rapport permet d’observer, à travers une carte comparée du monde, le retard d’intégration universitaire de la formation infirmière des pays de la francophonie, notamment en Afrique francophone.
S’appuyant sur plusieurs études nationales et internationales, ce rapport met également l’accent sur l’importance des coopérations et de la formation interprofessionnelle, de l’analyse des pratiques professionnelles permettant l’amélioration de la qualité des soins. Il souligne aussi la nécessité pour la formation d'être centrée sur l’acquisition de compétences précises.
Plusieurs pays, dont la France depuis 2009, sont d’ailleurs lancés dans cette logique d’approche par compétences et de posture réflexive. Toutefois, les pratiques sont encore très hétérogènes.
5. Conclusion : hausse générale du niveau, mais inégalement selon les pays
La formation infirmière a évolué de manière importante, ces dernières années, que ce soit dans l’espace francophone ou dans le monde. Elle est marquée par une volonté globale de qualité et de sécurité des soins, mais aussi d’adaptation aux réalités démographiques, sanitaires et sociales nationales et par la révolution numérique.
Tout cela a entraîné un large mouvement de rehaussement de la formation infirmière (conditions d’accès, contenu et durée de la formation), symbolisé par l’intégration universitaire. Cependant, ce développement est encore très inégal selon les pays, les formations et les diplômes non équivalents (excepté en Europe avec les accords de Bologne).
C’est pourquoi le SIDIIEF propose les recommandations suivantes pour l’espace francophone :
- Etablir un plan cohérent et concerté de rehaussement de la formation infirmière vers le premier cycle universitaire.
- Inscrire complètement la formation infirmière dans la filière universitaire : le 1er cycle préparant à une pratique clinique (courante), le 2ème cycle préparant à une pratique clinique avancée et le 3ème cycle formant des chercheurs en pratiques cliniques ou des professeurs.
- Poursuivre le développement de programmes universitaires de 2ème et 3ème cycles en parallèle et en soutien d’une activité de recherche dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche.
- Soutenir la formation des enseignants en soins infirmiers.
- Favoriser la validation de programmes spécifiques aux sciences infirmières par les autorités nationales compétentes.
- Intégrer à toutes ces évolutions un plan d’action spécifique à chaque région, qui respecte la diversité des cultures et des systèmes éducatifs locaux, qui exploite le potentiel de la « révolution numérique » et se repose sur l’expertise des établissements membres du SIDIIEF.
Bibliographie
- Sources : Rapport 2010 sur l’analyse et la mise en contexte des profils de formation infirmière dans différents pays francophone :
http://www.sidiief.org
Mickaël PERCHOC Comité de rédaction Infirmiers.com mickael.perchoc@infirmiers.com en collaboration avec Nathalie Lelièvre (juriste) et Axelle Vaisse (étudiante en journalisme)
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