Quelques semaines après la rentrée des étudiants en soins infirmiers en Ifsi, notamment via la nouvelle procédure Parcoursup , quels enseignements peut-on en tirer ? Profil des étudiants, modes de sélection, remplissage des établissements de formation, commission d’examen des vœux… Stéphane Le Bouler*, responsable du projet Universitarisation des formations paramédicales et de maïeutique, et Isabelle Richard**, conseillère Santé et Formation au Cabinet de Frédérique Vidal, ont répondu à nos questions et nous éclairent.
Infirmiers.com – Première question, en préambule, avez-vous été surpris par l'engouement suscité par cette nouvelle filière paramédicale ouverte aux candidats sur Parcoursup : plus de 100 000 d’entre eux ayant formulé au moins un vœu vers un Ifsi pour seulement 25 000 places ? N’est-ce pas paradoxal à l’heure où les infirmiers affichent leur souffrance au travail ?
Isabelle Richard – Une observation s’impose d’emblée, et nous ne pouvons que nous en réjouir, l’attractivité de la filière infirmière n’est plus à démontrer. Les lycéens l’ont choisi en première intention car ils y trouvent du sens et des valeurs et, oui, malgré la sinistrose ambiante, ils veulent exercer le métier infirmier . Même constat chez les candidats en reconversion professionnelle. Ce métier les attire et les raisons vont bien au-delà d’un marché du travail riche de perspectives. Là encore c’est la volonté d’engagement qui prime, un engagement fort à servir la société. Les Ifsi ont donc fait le plein, même ceux qui restaient à l’époque du concours infirmier "déficitaires". Parcoursup a donné de la visibilité à cette filière, avec plus d’équité et d’homogénéité sur l’ensemble du territoire.
Infirmiers.com – Pouvez-vous nous donner des éléments de profils de cette promotion d’étudiants en soins infirmiers 2019-2022 ? Bacheliers, reconversion professionnelle, prépas, que disent les chiffres ?
Stéphane Le Bouler – Sur ces trois catégories on retrouve une distribution par profil de bachelier très proche de ce que l'on avait avant la réforme : 29 % de bac S, 13 % de bac ES, peu de bac L (4 points de moins que du temps du concours). Les ST2S (37 % sur les 39 % de bacs technologiques) représentent sans doute le "profil idéal" jouant à la fois sur leurs performances scolaires, des dossiers bien travaillés et des motivations affirmées. Quant aux bacs professionnels, ils sont entre 10 et 15 % avec de fortes disparités territoriales. Une dernière précision, nous n’observons pas d'augmentation globale des distances de recrutement des étudiants qui ont fait leur entrée en Ifsi à la rentrée 2019. Les voeux ont certes été plus "lointains" parfois mais au moment de choisir, les candidats ont généralement privilégié les solutions de plus grande proximité.
Le métier infirmier est difficile, mais il continue à faire rêver les jeunes qui en perçoivent immédiatement le sens et les valeurs qui s’y rattachent.
Infirmiers.com - Que dire de la question des prépas ? Un sujet qui a suscité beaucoup de remous lors de la procédure d'admission...
Stéphane Le Bouler – Sur la question des "prépas" qui a fait couler beaucoup d’encre et suscité beaucoup d'interrogations, notamment des parents, rétablissons les choses. Sur 103 000 candidats tout public, 33 000 se sont vus proposer une place en Ifsi, soit 32 %. Pour les prépas suivies en lycée, ce chiffre monte à 61 % et pour les prépas hors lycées (intégrées en Ifsi ou au sein d'autres organismes de formation), nous sommes à 56 %. On peut affirmer que les candidats avec prépa ont été mieux traités que l’ensemble des candidats mais comme il y a eu au moins deux fois plus de candidats, il n'y avait pas de garantie de recrutement… Pour l'avenir, les "prépas" qui demeurent jouent sur l'angoisse des parents. Meilleure informations en amont, accompagnement adapté au lycée ou conseils spécifiques sur Parcoursup, bonne connaissance de la filière de formation et du métier préparé, doivent suffire à aider le candidat pour qu’il constitue le meilleur dossier en vue de son admission en Ifsi. Pas besoin de prépas pour cela.
Isabelle Richard – Il est en effet important de souligner que tous les candidats avaient leurs chances et cet engagement de "valorisation" des prépas dans les dossiers nous l’avons tenu ; les chiffres en attestent. Le mécanisme d’examen des dossiers, travaillé avec l’ensemble des Ifsi, a donc fait ses preuves alors que la crainte de ne recruter que des bacs S s’exprimait… Le groupe de travail Ifsi a donc bien réussi à constituer une grille d’analyse des dossiers qui valorise certains critères pour certaines populations et certains autres pour d’autres profils. Alors, oui, à l’arrivée, je le répète, tous les candidats avaient leurs chances et ont pu les faire valoir.
Infirmiers.com – Est-ce que le « quota » des 33% de candidats issus de la reconversion professionnelle ou aide-soignant ou auxiliaire de puériculture , a été atteint ? Comment répondre à ce fort « appétit de reprise d'études et de formation » observé chez ces candidats ?
Stéphane Le Bouler – Nous avons bien, en effet, retrouvé au final ces 33 %. Nous avions 10 000 candidats à recruter au titre de la formation professionnelle et effectivement 5 000 l’ont été via le "petit concours" et l’autre moitié via Parcoursup. Globalement, les candidats en "reprise d’études", en reconversion professionnelle, se sont inscrits en grand nombre sur la plateforme, dans les différentes filières et notamment en Ifsi. Nous ne nous attendions pas à un tel afflux et, de fait, Parcoursup n'a pas été configuré pour eux à l'origine. Ces publics montrent un fort appétit de formation
comme l’a souligné Frédérique Vidal et bon nombre d’entre eux ont obtenu une proposition. Il faut déployer pour ces candidats une offre plus adaptée, notamment en termes d’information et d’accompagnement. Cela sera fait en 2020. Constatons enfin que de nombreux candidats en reconversion admis en Ifsi ont dû renoncer à s'inscrire, ou différer leur inscription, faute d’avoir obtenu un financement de leur formation sur trois années. Il convient, sur ce point aussi, de mieux expliquer les choses : le financement de la formation pour les candidats en reconversion n'est pas lié aux modes d'admission mais aux règles définies par les financeurs.
Informations en amont, accompagnement adapté au lycée ou conseils spécifiques sur Parcoursup, bonne connaissance de la filière de formation et du métier préparé doivent suffire à aider le candidat pour qu’il constitue le meilleur dossier en vue de son admission en Ifsi.
Infirmiers.com est allé à la rencontre des étudiants en soins infirmiers de 1ere année à l'IFPS Fondation Oeuvre de la Croix-Saint-Simon, à Montreuil, pour recueillir leur ressenti sur cette nouvelle procédure d'admission qu'est Parcoursup
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Infirmiers.com – Concernant le concours d'entrée en Ifsi pour les aides-soignants et auxiliaires de puériculture, va-t-il être modifié en 2020 ? Ne devrait-on pas mieux accompagner et promouvoir ces désirs de progression chez ces catégories professionnelles ?
Stéphane Le Bouler – Il est vrai que ces professionnels de santé, déjà en exercice, sont très motivés pour poursuivre leurs études et démarrer un nouveau cursus. Il y a deux types de problèmes concernant les aides-soignants : d'une part, pour les professionnels en exercice, un différentiel de formation entre la voie Parcoursup et la voie des épreuves de sélection qui ont détourné une partie des candidats AS de cette deuxième voie alors qu'ils auraient pu valablement y concourir ; par ailleurs, pour ce qui est des lycéens, un certain nombre de candidats ont pu se détourner des concours IFAS au profit des concours IFSI du fait, là encore, de la lumière mise sur la procédure Parcoursup. Une partie des candidats non admis en Ifsi via Parcoursup ont de fait pu tenter leur chance en IFAS, un certain nombre de concours ayant été opportunément réouverts à l'initiative des régions. Sur ces questions, comme les autres, les dispositions 2020 seront arrêtées mi-décembre mais il n'y aura pas de grands bouleversements, simplement des améliorations tenant compte du retour d'expérience organisé par les deux ministères avec les parties prenantes.
Le processus a été très long à se décanter car un petit nombre de candidats à concentré l’essentiel des propositions pendant un temps important.
Infirmiers.com - Du point de vue du comité de pilotage de cette réforme, est-ce que les procédures et autres guides de sélection des candidats ont été utiles, suivies et surtout bien utilisés ? Quid du travail des commissions d'examen des vœux (CEV).
Stéphane Le Bouler – Les grilles d'analyse des dossiers, les outils mobilisés par les commission d'examen des voeux, ont produit globalement les effets attendus en terme de qualité et de diversité de recrutement, encore une fois dans un contexte de forte sélectivité. Les éléments permettant l'analyse qualitative des dossiers ont été exploités de façon diverse : les lettres de motivation des candidats, qui pouvaient être très stéréotypées, n’avaient sans doute pas le même poids que les rubriques "centres d’intérêt" qui pouvaient renforcer les dossiers (en matière d'engagement associatif ou militant par exemple). A travers l’ensemble des critères mobilisés, les commissions d’examen des vœux ont su mobiliser un faisceau d’indices pour repérer les candidats idoines plutôt que de se focaliser sur tel ou tel élément du dossier. Les outils mis à leur disposition leur ont permis de s’appesentir sur la partie qualitative des dossiers.
Isabelle Richard - Ce que cela nous semble traduire, ce qui est un élément très positif pour cette formation en soins infirmiers et pour la profession infirmière, c’est que les formateurs d’Ifsi qui ont analysé les dossiers partageaient authentiquement le souhait de faire de la place à des profils divers au sein de leurs promotions d’étudiants car ils en constituaient toute la richesse. Cela peut être perçu comme un discours politiquement correct mais pourtant, c’était déjà le cas via le concours, il fallait donc maintenir cette diversité en changeant de mode de recrutement. Nous observons que c’est le cas et il nous faut le pointer. Il faut souligner aussi le très fort engagement des formateurs et des responsables d'Ifsi, et de groupements d'Ifsi dans ette procédure.
Nous allons réduire en 2020 le nombre de possibilités de vœux par candidat. En 2019, sur 103 000 candidats, 50 000 ont fait un vœu et 15 000 plus de 5 vœux, encombrant la plate forme. Il faut que le processus soit plus fluide et plus rapide.
Infirmiers.com – Finalement, ne doit-on pas rappeler aux candidats souhaitant intégrer un Ifsi que la filière reste très sélective ? Les directeurs d’établissements scolaires, leurs conseillers d’orientation doivent jouer ce rôle "d’informateur", de guide, non ?
Isabelle Richard – Oui, si la filière intègre des profils diversifiés, elle reste néanmoins très sélective et il faut que cela se sache. Si de nombreux bons candidats qui souhaitaient entrer en Ifsi ont vu leur vœu exaucé, il y a eu aussi de bons candidats qui n’ont pas obtenu ce qu’ils souhaitaient. La vocation de Parcoursup est de donner la même visibilité à tous les Ifsi afin que l’accès à l’information à l’ensemble des candidats soit identique. De plus, et c’est un élément très important, Parcoursup est un outil qui conduit nécessairement à un dialogue resserré entre l’enseignement supérieur et l’enseignement scolaire. Le professeur principal et les responsables du lycée remplissent la fiche "Avenir" du candidat. Il est donc essentiel que le dialogue se resserre entre les Ifsi et les lycées. L’intégration de la filière infirmière sur Parcoursup donne une meilleure visibilité au métier, une aura supplémentaire. Directeur d’établissement, conseiller d’orientation, professeur principal… chacun s’en saisit pour être de meilleur conseil auprès des élèves et les guider effectivement au mieux vers leurs souhaits post-bac.
Stéphane Le Bouler – La constitution de regroupements d’établissements rend également le paysage plus lisible : 40 regroupements par rapport à 326 Ifsi. Chacun peut identifier le groupement qui l’intéresse autour de l’université avec laquelle les Ifsi sont liés par convention. Pour les rectorats, très sollicités cette année sur cette filière infirmière qu’ils découvraient, ou presque, le paysage de formation est beaucoup plus simple à appréhender. De la même façon, je tiens à souligner l’émergence et le rôle déterminant des responsables au sein de ces groupements d’Ifsi qui ont fait tourner la procédure avec efficacité. Ils n’avaient pourtant pas bénéficié d’un long temps de préparation…
A l’issue de cet entretien, cette nouvelle procédure d’admission en Ifsi via Parcoursup semble donc globalement satisfaisante. Meilleure visibilité de la formation en soins infirmiers avec un excellent taux de remplissage des établissements de formation, attractivité renforcée du métier infirmier qui remet en exergue le sens et les valeurs humaines auxquelles tiennent les candidats, diversité des profils sélectionnés… Un peu de recul sera néanmoins nécessaire pour s’assurer, à la fin de la première année de formation, que la motivation et l’engagement des étudiants perdurent. Le meilleur à souhaiter pour l’avenir des soins infirmiers et de leurs serviteurs.
*Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Ministère des Solidarités et de la Santé.
**Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.
Entretien réalisé par Bernadette FabregasRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern
Vidéo réalisée par Susie Bourquin
Journaliste Infirmiers.com
susie.bourquin@infirmiers.com
@SusieBourquin
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