Une étudiante en soins infirmiers (L1) à Saint-Etienne, a effectué un stage en psychiatrie. Une situation particulière l’interpelle : les soignants sont invités à ne pas porter de tenue professionnelle mais juste une tenue civile avec une blouse. La réflexion qui en résulte a mis à l’épreuve ses connaissances théoriques en hygiène et elle nous fait part de son étonnement et de ses réflexions.
L'étonnement ou comment des étudiants en soins infirmiers racontent leurs premiers questionnements en stage
Formatrices et formateur dans un institut de formation en soins infirmiers Croix-Rouge à Saint-Etienne, Yamina Lefevre, Zohra Messaoudi et Christian Teyssier ont demandé à leurs étudiants de 1ere année, dans le cadre de l'unité d'enseignement Hygiène et infectiologie (UE 2.10) de réaliser une analyse de situation à partir d'un étonnement vécu lors de leur premier stage. Dans la continuité des trois premiers textes que nous avons publiés en 2015, textes jugés parmi les plus pertinents par leurs enseignantes, puis d'une nouvelle série déployée en 2016, suivis de nouvelles publications en 2017, de nouveaux étonnements s'offrent à nous en 2018. Voici celui de Clémence. Merci pour ce partage, il serait en effet dommage que ces riches réflexions de profanes restent anecdotiques.
Dans le cadre de ma formation infirmière, j’ai effectué mon premier stage de cinq semaines dans une unité d’admission en soins psychiatriques à l’hôpital. C’est une unité d’admission qui accueille des personnes atteintes de pathologies psychiatriques chroniques allant de la névrose à la psychose, des états limites ou simplement des troubles du comportement afin de les stabiliser en vue d’un retour à domicile, d’un suivi à l’extérieur et parfois des orientations vers d’autres lieux de soins. Ces patients entrent en hospitalisation via les urgences psychiatriques ou via un secteur extrahospitalier. Il y a aussi des hospitalisations séquentielles. C’est un mode d’hospitalisation plus bref en alternance avec des séjours à domicile ou en foyer programmé à l’avance. Cette unité a une capacité d’accueil de 20 lits. Ce service est composé de cinq médecins (quatre psychiatres et un somaticien), un cadre de santé, cinq ASH (agents de services hospitaliers), deux assistantes sociales, quatorze infirmiers (nuits et jours compris) et d’internes.
Avant ce stage, j’avais une image propre à l’infirmière ; la tenue complète (blouse et pantalon), cheveux attachés, aucuns bijoux et ongles courts. Cette tenue était pour moi le symbole du corps médical. La première semaine de ma formation, on nous a fait essayer cette tenue, afin de nous en fournir pour se rendre en stage et pratiquer à l’institut. A la réception de cette tenue, mon parcours professionnel commençait.
Avant le début du stage, j’ai eu l’occasion de rencontrer le cadre de santé du service qui m’a fait part de certaines directives dont celle de la tenue : tenue civile et la blouse. C’est tout. Cela ne m’a pas interpelé tout de suite. Mais mon interrogation se présente en début de stage. Je rencontre les différents professionnels qui travaillent dans le service. Aucun d’entre eux ne portent la tenue complète. Juste la blouse comme m’avait demandé le cadre de santé, les cheveux ne sont pas forcément attachés, les chaussures civiles, des pulls à manches longues sous les blouses, des montres, voire d’autres bijoux comme des bagues et du vernis pour les femmes.
Je me suis alors questionnée sur le port de la tenue en général en milieu hospitalier et dans le secteur psychiatrique.
La tenue professionnelle est une grande question dans le milieu psychiatrique. Tu verras souvent que, selon les services, elle est différente.
Description de la situation
Un matin l’infirmière Madame N, me proposa de l’accompagner dans une chambre afin de piquer un bilan sanguin et de prendre les constantes à un patient. Les bilans sanguins sont beaucoup pratiqués dans le service afin de surveiller les différents effets secondaires que peuvent provoquer les médicaments sur l’organisme. Nous préparons ensemble le plateau avec tout ce dont elle a besoin (garrot, pot à DASRI, aiguilles, corps de vacutainer, tubes, gants à usage unique, solution hydro-alcoolique, un champ pour mettre sous le bras du patient, compresses avec du désinfectant, pansement, étiquettes du patient et la prescription) afin de pratiquer sa prise de sang dans les normes d’hygiène.
Nous nous rendons dans la chambre du patient, nous frappons et entrons. L’infirmière explique au patient qu’elle doit lui faire sa prise de sang habituelle. Le patient connait parfaitement la cause de ce geste invasif. L’infirmière pratique la prise de sang tout en m’expliquant les règles d’hygiènes tels que le lavage de mains et le port de gants.
En sortant de la chambre, dans la salle de soins j’en profite pour lui poser mes questions sur les règles d’hygiène concernant la tenue professionnelle. L’infirmière Madame N tente de me répondre: la tenue professionnelle est une grande question dans le milieu psychiatrique mais tu verras souvent que, selon les services, la tenue est différente et est décrite dans les contrats de travail. Fréquemment, tu te rendras compte que la réalité du terrain sera différente de ce que tu as pu apprendre en cours
. Un autre infirmier, Monsieur J, présent dans la salle de soins rajoute : les raisons pour lesquelles la tenue n’est pas complète ici sont nombreuses. Tu observeras que notre tenue civile permet un meilleur lien avec les patients selon leurs pathologies, et une protection pour nous même
.
50% à 80% des infections sont transmises via les mains
Mon questionnement commençait
Durant tout mon stage, j’ai pu observer cette tenue inchangée, au moment de la préparation des traitements, du service des repas, allant jusqu’à la pratique des soins (éducatifs, préventifs et curatifs). Je me suis alors demandé si le patient n’était pas exposé à un risque d’infection.
J’ai appris qu’une infection est la pénétration puis le développement de micro-organismes (germes, microbes
, agents infectieux ou pathogènes) dans un être vivant. Ces agents infectieux vivent partout sur et autour de nous. Si nous reprenons l’exemple des mains, 50% à 80% des infections sont transmises via les mains. On l’appelle la transmission manuportée (croisée) car les mains se contaminent ; elles véhiculent les germes en fonction du temps de contact, du degré d’humidité et de leur durée de vie et recontaminent l’environnement ou les personnes autours.
A l’entrée en formation, on nous apprend les précautions standard. Celles-ci ont pour but d’assurer une protection systématique du personnel et des patients vis-à-vis des risques infectieux. L’hygiène des mains est indispensable à la réduction du risque de transmission. Une bonne hygiène des mains commence par l’absence de bijoux, porteurs de nombreux germes. Il est donc important de prendre soins de ses mains, car elles sont vues comme l’outil de travail
des soignants. Une certaine technique est à apprendre afin de se nettoyer les mains en intégralité. Il faut la réaliser avant et après tout contact avec un patient, entre deux activités et avant et après tout port de gants.
La tenue professionnelle protège le soignant de toutes infections et évite toutes expositions aux liquides biologiques. Elle est composé d’un pantalon ; d’une tunique à manche courtes (pour permettre une hygiène efficace des mains) ; des chaussures réservées au travail, antidérapantes, lavables et qui doivent bien tenir le pied. La tenue doit être impérativement changée quotidiennement et en cas de souillure. Elle est revêtue dans un vestiaire et enlevée pour toute activité qui ne concerne pas les soins.
Outre les précautions standard, des équipements de protection individuelle sont à disposition afin de réduire au maximum le risque de transmission de micro-organismes entre les patients et les soignants. Nous avons les gants à usage unique à utiliser pour chaque soin et lorsque les mains du soignant comportent des lésions. Il y a aussi les masques, les lunettes ou les masques visières à utiliser s’il y a risque de projection ou d’aérosolisation. On peut également recourir à des tabliers ou des surblouses à usage unique quand il y a un risque de projection d’origine humaine.
La tenue professionnelle peut être ressentie comme une intrusion ou une persécution chez les patients
La tenue renvoie un message à un patient souffrant de troubles psychiatriques
Je suis revenu sur ce que m’avait dit l’infirmier Monsieur J, sur les réponses qu’ont pu me donner les différents professionnels du service et mes recherches et observations. J’ai pu en déduire que tous les patients hospitalisés en psychiatrie souffrent d’angoisse. Selon les pathologies, la réaction d’un patient peut changer en présence du soignant, la tenue professionnelle peut être ressentie comme une intrusion ou une persécution chez les patients souffrant de paranoïa ou pour les personnes qui sont dans le déni de la maladie. Le port de la tenue personnelle permet d’effacer ces émotions. Les infirmiers essayent de créer du lien avec les patients pour pouvoir gagner leur confiance afin qu’ils puissent s’ouvrir, s’extérioriser et conduire un projet de soins adapté à la personne, ce qui permet de rompre l’image du soignant vis-à-vis du patient.
Le port de la blouse est alors obligatoire car il représente le statut du soignant qui détiens le savoir. La blouse permet aussi de rappeler que nous sommes dans un hôpital. Ce qui permet une relation adaptée du soignant et du patient. Lorsque ce lien de confiance est acquis, l’éducation thérapeutique peut être mis en place. Le patient viendra poser des questions ou faire part de ses problèmes à l’infirmier avec qui il aura créé du lien. Comme n’importe qui, ces patients craignent plus ou moins le milieu hospitalier. Il a été prouvé que des modifications physiologiques peuvent se faire sentir en présence d’un soignant, appelé l’effet blouse blanche
tel que l’augmentation du rythme cardiaque, et cela dans n’importe quel service hospitalier.
D’autant plus que dans le secteur psychiatrique, les médicaments ont beaucoup d’effets secondaires, ce qui nécessite une surveillance des constantes et des bilans sanguins régulièrement. Le port de la tenue civile permet aussi de supprimer au maximum cet effet afin que les résultats ne soient pas faussés. La blouse est vue comme une barrière protectrice du psychisme
pour le soignant. Celle-ci permet de protéger le soignant des émotions pour permettre une distance professionnelle correcte.
Pour conclure
Ce stage était pour moi une première expérience dans le milieu infirmier et surtout dans le milieu psychiatrique.
J’ai pu comprendre que l’hygiène est indispensable pour les patients et les soignants.
Cette analyse de situation m’a permis de développer mon sens de l’observation. Cela me servira, dans mes futurs stages et dans ma future vie professionnelle, à adapter la théorie à la pratique, et ce, de manière différente en fonction des secteurs d’exercice.
Il est nécessaire de s’interroger sur son savoir-faire et sur sa responsabilité, de remettre en question nos actes et de développer notre questionnement professionnel durant ces trois années d’études, afin de devenir une infirmière compétente.
Bibliographie
- Circulaire N°DGS/DH/98/249 relative à la prévention de la transmission des agents infectieux véhiculés par le sang ou les liquides biologiques lors des soins dans les établissements de santé. (1998, Avril 20).
- Cours numérisés de la plateforme DOKEOS, Précautions standards et complémentaires.
- HILLION , K., & LE DIEST , D. (1997, Avril ). J'ai écrit sur ma blouse . Revue de l'infirmière n°26, pp. 66-67.
- La MAXI compil du diplôme infirmier. (2018, Août). Vuibert.
- MARTIN. Cours Précautions standars, Précautions complémentaire, Infections Associées aux Soins.
Etudiante en soins infirmiers (L1 2017/2020)Croix-Rouge Formation Rhônes-Alpes, Saint-Etienne
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