La profession infirmière, comme tout corps de métier, donne lieu à l’encadrement et à l‘évaluation des futurs professionnels dans leur formation. Différents modes de tutorats sont à notre disposition, sur le lieu de formation dans les IFSI, et dans les services hospitaliers, ou non, dédiés en majeure partie à l'apprentissage des gestes techniques et des "bonnes" pratiques. L'infirmier a la possibilité, dès lors, de pouvoir être acteur de l'évolution d'un étudiant, au niveau de sa pratique et, aussi, de ses savoirs théoriques.
La raison m'ayant mené à la rédaction de cet article prend son sens dans la première expérience d'évaluation que j'ai vécue, lors d'une soutenance pour le travail de fin d'étude d'une étudiante en soins infirmiers. Afin de rendre mon expérience accessible, restons concis. La problématique m'a conduit à établir après la lecture du mémoire et son argumentation, une évaluation défavorable et un avis de non recevabilité. Le débat s'est alors installé lorsque la formatrice de l'Ifsi a, quant à elle, exprimé un avis juste favorable afin de valider le travail en lui accordant la moyenne. Ses arguments étaient de valoriser une évolution positive de l'ESI du début à la fin de la production, et ainsi notifier une amélioration dans son raisonnement, faisant alors preuve, selon ses dires, « de pédagogie ». En face il y avait mon évaluation, basée sur ce que j'avais lu dans le mémoire et entendu lors de la soutenance. N’étant à l’époque pas assez convaincant dans mon argumentation, ma décision n’a donc pas fait poids et l’étudiante a ainsi validé son travail de fin d’étude. Face à tant d’interrogations, les idées seront hiérarchisées en fonction de problématiques bien définies. Sans réellement vous apporter une réponse définitive à chaque item, l’intention première sera de vous fournir une réflexion comme matériel, pour vous conduire à vos propres réponses.
Qu'est-ce que la pédagogie, et quand a-t-elle sa place dans une formation professionnelle telle que la nôtre ?
Avec la dialectique, la pédagogie est une composante de l’enseignement. La première portant sur un thème précis avec un objet bien défini, la pédagogie concernant plus la manière dont l’information est perçue et transformée en savoirs par la pratique relationnelle et l’action de l’enseignant. On retiendra alors la définition d’Emile Durkheim, fondateur de la sociologie moderne, nous expliquant qu’elle est une réflexion amenée aussi méthodiquement que possible aux choses de l’enseignement, c’est-à-dire la transmission de connaissances, d’un savoir, ou d’un savoir-faire. Afin de se détacher de la situation exposée, posons-nous la question de la place de la pédagogie dans la formation professionnelle infirmière. Au début de sa formation, chaque étudiant vient avec un bagage socio-cognitif différent, a fortiori, la formation devra prendre en compte la spécificité de chacun pour l’aider à construire ses compétences et évoluer vers un statut de professionnel infirmier. La clé est d'accompagner l’ESI au cours de sa formation en partant de son socle de connaissances et savoir-faire, vers un objectif de professionnalisation, variant en fonction des ambitions de chacun. Ceci étant, la formation infirmière se doit de fixer un tronc commun d’exigences et de compétences à valider. La définition précise d’un niveau à atteindre pour l’étudiant serait alors inévitable. Quelle que soit la personne formée et son évolution au sein de l’institut de formation, si son niveau n’est pas jugé recevable, au sens où il ne remplit pas les critères de professionnalisation a minima, et ce malgré une bonne évolution, doit-il être écarté de l’accession au diplôme ?
L'objectivité a-t-elle un sens dans la mesure où le jugement se fait sur un travail ponctuel et non sur toute une formation ?
Cette question nous ramène plus précisément aux termes de notre problématique concernant le travail de fin d’études. L’étudiant infirmier, durant sa formation, a pour mission d’élaborer sur la base d’une problématique pertinente, un travail de recherche mêlant argumentations théoriques et enquêtes de terrains. Il bénéficie pour se faire de la présence d’un guidant, le plus souvent, l’un de ses formateurs, afin de le maintenir dans un axe cohérent tout au long de l’avancement de la recherche ; ce même formateur sera alors co-jury lors de la présentation et de la soutenance. Un tel travail nécessite un sens de la pédagogie particulièrement pointu, chaque étudiant n’ayant pas les mêmes bases ou bien les même capacités d’élaboration. Ainsi il est permis d’apprécier l’évolution de ce dernier voir même de constater un certain épanouissement. Un véritable paradoxe se met en place quand il s’agit d’aborder l’évaluation de ce travail. La première partie de l’évaluation se fait uniquement sur le rendu écrit de la production. Le co-jury/guidant peut noter de façon détachée le travail écrit, mais il peut aussi être amené à prendre en compte l’évolution de ce dernier et ses améliorations. Ne souhaitant pas faire abstraction de l’aspect positif et encourageant en notant une progression de l’étudiant, le second co-jury, étranger à la conception du mémoire, se voit quant à lui, dans l’obligation de ne se baser uniquement que sur le travail qu’il a sous les yeux. Ainsi s‘installe une véritable dichotomie, opposant une évaluation validante d’un travail meilleur que ce qu’il aurait pu être au départ (prise en compte de l’évolution de l’étudiant) à une évaluation de non-recevabilité d’un travail moins bon que ce qu’il devrait être (objectivité face aux critères de recevabilité).
Plusieurs éléments de réponses sont alors possibles, tout d’abord, une mise à l’écart du guidant pour l’évaluation finale afin de créer une réelle objectivité sur le travail rendu, ou bien une prise en compte de l’évolution de l’ESI avec l’appréciation du guidant. Dans ce dernier cas, ne faudrait-il pas mettre en place le respect strict d’un certain nombre de critères au sein de la grille d’évaluation existante ? La question du niveau de qualification des jeunes diplômés est nécessaire. Le climat actuel rend la situation difficile pour tout les professionnels, qu’ils soient anciennement ou nouvellement diplômés.
Notre profession doit-elle être capable d'accepter de moins bons éléments, ou la sélection doit-elle se faire plus stricte afin de promouvoir une discipline davantage porter sur la réflexion et ainsi rendre tout le corps de la profession d'infirmier d’un niveau plus haut et dirigé vers l’amélioration des pratiques et des connaissances ?
La précarité de l’emploi touche notre profession significativement, après des années où l’étudiant pouvait aller jusqu’à choisir son futur employeur… Le chômage des infirmiers s’accentue et cela même chez les nouveaux diplômés. Au vue des différentes réformes de formation, l’état de crise se répercute sur un véritable trouble d’identité professionnelle infirmière actuel. Jusqu’à aujourd’hui, les infirmiers faisaient partie d’un corps de métier, entité englobant « un peu de tout ». L’enseignement reste une représentation fidèle de ce modèle avec encore des cours conduits par des spécialistes médicaux en grande partie. La formation tend alors vers un enseignement par les infirmiers pour les infirmiers, dans l’idéal, car nous voyons encore, au sein des facultés des cours à destination des étudiants en médecine maquillés en cours pour nos futurs pairs et ce, malgré la création de la licence en soins infirmiers. Cette création montre bien la tendance à vouloir faire apparaître une véritable science infirmière, chère à nos homologues anglo-saxons, inscrivant la profession dans un courant lui étant propre. Le format universitaire nous a conduit depuis, à la création d’un master en soins infirmiers complétant des possibilités d’évolution universitaire existantes, tout cela conjointement avec l’arrivée prochaine d’une nouvelle spécialisation, celle des infirmiers de pratique avancée . Un tel panel de spécialisations, et une course à l’expertise professionnelle infirmière, devrait créer une exigence au niveau même de l’accession au diplôme ; objectif presque utopiste mais vers lequel il faut se diriger encore et encore !
La volonté de création de postes de plus en plus spécifiques à une tâche, et le désir d’une certaine expertise rendent nécessaires l’avènement de diplômés capables d'être à la hauteur d’exigences universitaires pour ainsi démontrer l’existence d’un courant des sciences infirmières et la crédibilité d’un cursus en université. Sans vouloir en faire des têtes pensantes accaparées par les études et les évolutions après la licence, il ne faut pas écarter les bons praticiens exerçant sur un versant plus général des soins infirmiers. Tout l’intérêt d’introduire un niveau d’exigence élevé dès le début de la formation, voir dès même la sélection d’entrée, permet la création de diplômants d’un niveau universitaire leur donnant le bagage suffisant pour être acteur de leur pratique au sens où ils seront la faire évoluer plus intelligemment et créeront leur niveau d’expertise. L’objectif est alors de leur donner moyens et outils pour leur permettre de tendre vers l’évolution souhaitée tout en gardant comme objectif une image « fantasmée », et conserver une amélioration constante des pratiques.
Il est loin le temps où la profession infirmière manquait de main d’œuvre et pouvait diplômer à tour de bras pour alimenter les hôpitaux. Dans une dynamique de restriction de postes, mais sans vouloir l’encourager même si cela en est le risque, n’a-t-on pas tout intérêt à miser sur une formation de la qualité plus que sur celle de la quantité ? La question peut sembler accusatrice pour mes pairs et moi-même, sous-entendant que nos diplômes ne sont pas basés sur une logique de qualité. Il n’en est rien, nous sommes tous responsables et tous acteurs de la valeur que nous donnons à notre profession et à notre carrière. Il s'agit de donner plus au métier que l'on représente en cherchant à l’améliorer au quotidien et à en faire une fierté tout au long de sa formation et de sa carrière.
La profession est à une charnière de son évolution au sens où il existe un véritable désir de reconnaissance et d’appartenance, et où la création de nouvelles passerelles d’évolution au sein même du cursus ou a posteriori se concrétisent. La spécialisation étant de plus en plus nécessaire pour dynamiser une inscription des sciences infirmières, la question de la mise en application de critères d’évaluation différents durant la formation classique (tronc commun) est une carte maîtresse à jouer pour enfin entamer un virage important dans la construction identitaire professionnelle individuelle infirmière.
Christophe RUDIGCKO Infirmier en hématologie Hôpital René Huguenin - Institut Curie - Saint Cloud christophe.rudigcko@curie.fr
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