La nouvelle réforme du diplôme infirmier est basée sur un référentiel par compétences. Cela donne une très grande importance à la fonction de tuteur. Mais celle-ci rencontre deux problèmes : dans un contexte de restriction des moyens, la disponibilité et la formation des tuteurs ; leur coordination avec les maîtres de stage.
La nouvelle réforme du diplôme infirmier est basée sur un référentiel par compétences. Dans tous les instituts de formation en soins infirmiers, elle a permis un travail de fond sur la pédagogie à adapter pour ce qui est un nouveau modèle, basé sur l’acquisition des compétences et son corollaire, les processus réflexifs.1 Pour un infirmier, être tuteur implique motivation, disponibilité et aptitudes pédagogiques : il s’agit d’accompagner l’étudiant dans l’acquisition de compétences professionnelles et de les évaluer. C’est une responsabilité, d’autant que le tuteur est le seul à apposer sa signature au bas de la feuille de stage et du portfolio, ce qui constitue un changement important.
La démarche réflexive
La démarche réflexive privilégie l’appropriation des savoirs dans une co-construction non seulement entre apprenant/formateur, mais aussi entre tuteur/tutoré dans les lieux de stage.
Elle est « un mouvement de dé contextualisation et de conceptualisation qui consiste, à partir des récits de pratiques, à se dégager de l’effet de contexte pour produire des invariants malgré et grâce à la variété des pratiques contextualisées »2 .
Travailler selon cette approche nécessite de partir des représentations que les apprenants ont des situations. C’est par un questionnement que se construit la démarche qui amène l’étudiant à repérer ses manques dans les apprentissages et ainsi à s’approprier les connaissances nécessaires pour comprendre les situations, pour agir de façon adapter et être capable de transférer ce nouveau savoir acquis à d’autres situations3. Les buts du travail réflexif sont donc de permettre une réflexion sur son action et par des prises de conscience, de ré-agencer son savoir en un savoir enrichi par l’expérience. Il comporte deux étapes fondamentales, le récit de son action et le travail d’écriture, que le portfolio permet à l’étudiant de réaliser.
Le tuteur, quel niveau de compétences exigé ?
La démarche réflexive ne consiste pas à apporter d’emblée contenus ou réponses à l’apprenant, mais de favoriser sa prise de conscience sur la façon dont s’effectuent ses apprentissages (métacognition)4. Elle nécessite une posture nouvelle pour les formateurs comme pour les soignants (tuteurs et référents au quotidien) sur le terrain en stage. En effet, lors de la réalisation des soins, il parait beaucoup plus simple de montrer au stagiaire quel matériel prendre et quels gestes faire avant de les faire reproduire par le stagiaire.
Or l’apprentissage dans le champ des compétences demande à être contextualisé : l’apprenant doit être amené à se questionner non seulement sur le « comment je fais », mais aussi sur le « comment je m’organise », « comment je communique dans cette situation », « de quelles connaissances ai-je besoin ».
Ce changement de posture est bien une question, voire une inquiétude, que se posent les professionnels qui s’inscrivent dans une démarche de tutorat. Il s’agit, en particulier, de mobiliser des capacités à se questionner, en se distanciant de la pratique, et à conceptualiser celle-ci, en mobilisant non seulement des savoirs connaissances, mais aussi des savoirs procéduraux, tels que l’analyse, les raisonnements inductifs, déductifs ou abductifs.
Requise dans cette nouvelle mission en tant que compétence à part entière, la pratique réflexive favorise de fait l’analyse clinique. A terme, la compétence du tuteur s’appréciera dans sa maîtrise des outils de la formation et dans les savoir-faire qu’il mobilisera pour accompagner les étudiants dans leur parcours et les évaluer dans les soins.
Cependant, cette méthode nécessite temps et disponibilité pour prodiguer un accompagnement de qualité. Or, dans les services, le tuteur est avant tout un soignant responsable d’un secteur de soins. S’il est reconnu en terme de mission et de responsabilité au sein des services, le tutorat ne donne en général lieu à aucun aménagement de temps ou financier.
Aujourd’hui, dans le contexte actuel de maîtrise des dépenses hospitalières (avec possibilité de réduction de postes ou de difficultés de recrutement), cette disponibilité fondamentale semble parfois difficile à trouver.
La formation des tuteurs consiste à les accompagner dans cette mission et à harmoniser les pratiques au niveau national. Comment concilier la nécessaire expertise5 des tuteurs et la polyvalence attendue des soignants qu’implique une gestion managériale par pôles ? En effet, cette polyvalence autorise la mutualisation des moyens humains et ainsi la constitution d’équipes ad hoc au gré des nécessités des pôles. Or « la variété des tâches est compatible avec la compétence et l’expertise, mais à la condition sine qua non de disposer d’une relative stabilité dans un poste ou plutôt dans une situation de travail donnée »6
La polyvalence d’un individu à un poste (ou fonction) induit un niveau d’exigence différent et plutôt à minima, là où l’expertise exige un champ de compétences moins large, mais à un niveau plus élevé.
Comme tout changement, la confrontation à des pertes de repères et d’attributions génère craintes et incertitudes, donc des résistances7. Mais cette réorganisation redynamise l’ensemble des acteurs de l’encadrement. Dans l’état actuel de l’évolution des textes et de leur application, nous identifions au moins, deux scenarii.
Dans le premier, le tuteur est situé au niveau de l’unité. Son activité tutorale reste une activité parallèle, d’où vraisemblablement un niveau de compétence à minima. Il pourrait cependant être potentialisé en lui permettant un travail réflexif sur cette pratique.
Le deuxième scénario mettrait en place des tuteurs de forte expertise tutorale parce que le tutorat représenterait leur activité principale. Nous pouvons les imaginer exercer au niveau institutionnel ou au niveau d’un pôle dans le cadre d’une mission transversale.
Cette forte expertise pourrait permettre de développer recherche et évaluation sur le tutorat et les pratiques professionnelles. Elle pourrait être une étape dans un parcours professionnel orienté vers la pédagogie s’inscrivant tout à fait dans le projet national de la formation tout au long de la vie. L’inconvénient possible de cette orientation est la possibilité d’une incidence sur la motivation et l’implication des autres acteurs autour des étudiants infirmiers (cadre, infirmiers...).
Dans le contexte actuel de réforme de la formation des infirmiers, quelle expertise pédagogique est attendue et sera recherchée : des tuteurs avec des compétences tutorales à minima ou des tuteurs avec une véritable expertise pédagogique ?
Tuteur et maître de stage : des responsabilités différentes et complémentaires.
En adéquation avec les remarques de l’équipe, le tuteur valide avec le tutoré les éléments de la compétence pour lesquels il estime que ce dernier a atteint le niveau requis, à la fois sur le portfolio et sur une feuille annexe de stage (où il devra également argumenter les éléments positifs ou de progression de l’étudiant). Il s’agit de passer d’une évaluation selon une logique de contrôle vers une évaluation selon une logique d’accompagnement.
Mais seul le tuteur pose sa signature sur le document. Il participe ainsi directement à accorder les 60 Equivalent Credit System (ECTS) sur l’ensemble des 180 que l’étudiant doit acquérir pour prétendre au diplôme infirmier.
Ceci constitue en soi une petite révolution dans les lieux de stage. En effet, la notation d’un stagiaire dans le cadre de l’ancien programme s’effectuait avec plusieurs soignants de l’équipe qui apposaient leur signature et celle du cadre.
À présent, la signature du maître de stage (qui est souvent un cadre) n’a plus à figurer sur les éléments de stage. Or il est responsable de la fonction organisationnelle et institutionnelle du stage, garant de sa qualité et assure le suivi avec l’institut de formation. Il s’ensuit qu’un sentiment de mise à l’écart de la fonction pédagogique est parfois ressenti par les professionnels cadres, ce qui pose la question de leur collaboration avec les tuteurs.
De plus, la cosignature avait le mérite de clarifier le positionnement de chacun et de partager la responsabilité de l’évaluation. Son absence laisse le tuteur avec un sentiment de responsabilité exacerbée. Bien entendu, en règle générale, les choses se déroulent de façon constructive : les craintes évoquées (désaccord manifeste entre le lieu de stage et le stagiaire) concernent peu de situations. En outre, le référent de stage IFSI responsable de lieux de stage reste une ressource pédagogique qu’il convient de solliciter dans des situations particulières.
La question posée à propos de la fonction pédagogique du cadre/maître de stage alors qu’il reste responsable de la qualité des soins réalisés dans le service a le mérite de souligner un changement important. Le maître de stage étant positionné comme responsable des stages en tant que sites qualifiants, il se doit d’accompagner et d’évaluer les tuteurs dans leur mission, dans le cadre d’un management plus centré sur le développement professionnel des professionnels de terrain. En effet, sa position externe peut être un atout pour aider ceux-ci dans leurs missions transverses telles que le tutorat, à partir d’un accompagnement autour de la motivation, la perception du sens et des enjeux de la fonction de tuteur.
Le tutorat s’inscrit dans un projet institutionnel et malgré sa position d’externalité, le cadre reste le garant de sa mise sa mise en œuvre dans son service et de l’accompagnement des tuteurs et de l’équipe dans cette mission.
Conclusion
La mise en place du diplôme infirmier à partir d’un référentiel par compétences modifie de façon importante la dynamique de l’encadrement. La fonction de tuteur y est centrale même si cette dernière n’a de sens que si elle s’inscrit dans un travail de partenariat avec les référents au quotidien, le responsable de stage de l’IFSI et le maître de stage.
Sa responsabilité sur un plan pédagogique est indéniable tant sur un plan méthodologique par l’utilisation de la démarche réflexive que sur le plan de l’évaluation des compétences. Ce qui pose deux questions : la formation des tuteurs et l’organisation d’un tutorat qui tienne compte des contingences organisationnelles et managériales des établissements, en particulier la disponibilité en temps. Les textes attendus vont-il permettre d’avancer sur les notions de compétences, de reconnaissance et de responsabilité du tuteur ? La reconnaissance passera peut-être par l’attribution d’une rémunération spécifique, comme le suggère le décret n° 2010-661 du 15 juin 2010 relatif à la prise en charge du tutorat des jeunes embauchés ou stagiaires.
Suggéreront-ils une orientation vers un des deux scénarii décrits ?
Il est à souhaiter que certaines questions trouvent des réponses et des aménagements afin de permettre un accompagnement des apprentissages des futurs professionnels par leurs pairs le plus serein possible.
Notes
1. LE BOTERF G- Construire les compétences individuelles et collectives- 3ème édition organisation : 46-103.
2. LE BOTERF G- Construire les compétences individuelles et collectives- 3ème édition organisation : 46-103.
3. LE BOTERF G- Construire les compétences individuelles et collectives- 3ème édition organisation : 46-103.
4. DONNAY J. CHARBIER E.- Apprendre par l’analyse des pratiques : Initiation au compagnonnage réflexif, 2006 :38.
5. BRENNER P.- De novice à expert : Excellence en soins infirmiers, édition MASSON, 1995, Paris : 20-35.
6. EVERER C. La polyvalence et ses contradictions, IAE Lyon, 3, 18ème Congrès AISLF, Juillet, 2008.
7. COCH et FRENCH J.R.P, - OvercomIng resistance to change, Human relations, 1948: 512.
Bibliographie
- BRENNER P.- De novice à expert : Excellence en soins infirmiers, édition MASSON, 1995, Paris.
- COCH et FRENCH J.R.P, - Overcoming resistance to change, Human relations, 1948: 512.
- DONNAY J. CHARBIER E.- Apprendre par l’analyse des pratiques : Initiation au compagnonnage réflexif, 2006.
- EVERER C. La polyvalence et ses contradictions, IAE Lyon, 3, 18ème Congrès AISLF, Juillet, 2008.
- LE BOTERF G- Construire les compétences individuelles et collectives- 3ème édition organisation, 2001.
Valérie GOUFFE
Formateur-consultant
v.gouffe@grieps.fr
et Marie Claude MIREMONT
Responsable régionale sud-ouest/DOM-TOM
GRIEPS (Groupe de recherche et d’intervention pour l’éducation permanente des professions sanitaires et sociales )
http://www.grieps.fr
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