Nouvel article, fort pédagogique de notre nouvel ami Le Gazier. Il traite de l'hypothermie au bloc opératoire. Merci de ce partage et chaud devant !
En ce mois de janvier, où il fait très froid, j’avais envie d'écrire sur l’hypothermie peropératoire et sa prévention. C’est quelque chose à laquelle je suis très attaché, j’aime que mes patients soient tout chaud comme des petits pains, qu’ils soient réchauffés et confortables avant et après l’anesthésie. Le jour ou j’ai compris la physiopathologie de l’hypothermie peropératoire, je suis devenu encore plus attentif à ça. Voici donc mon article sur l’hypothermie peropératoire, il sera articulé ainsi : physiologie de la thermorégulation, puis physiopathologie de l’hypothermie peropératoire, suivi des conséquences de celle-ci et des moyens de prévention. Bonne lecture! (attention article long, allez vous faire un petit thé et mettez vous sous votre plaid ou votre couette!).
Quelques généralités
L’être humain est homéotherme. Il maintient sa température de manière relativement constante, car les réactions enzymatiques et le fonctionnement des cellules nécessitent que cette température reste dans cette zone et de manière stable. Au repos, la thermogenèse est le résultat du métabolisme oxydatif des nutriments. La stabilité de la température centrale est alors possible grâce à un rétrocontrôle avec ajustement entre production et perte de chaleur pour aboutir à un bilan calorique des 24h nul. Lors d’un effort musculaire, la participation des muscles à la production de chaleur devient significative et peut excéder d’un facteur 10 la production de chaleur du métabolisme de base.
Modèle corporel à deux compartiments caloriques
On considère que le corps est constitué de 2 compartiments, un compartiment central et un compartiment périphérique :
- le compartiment central comprend toute la zone du tronc et celle du crâne. Elle contient tous les organes nobles (cœur, cerveau, rein, foie...) qu’il est nécessaire de protéger et de maintenir à une température optimale pour permettre leur fonctionnement normal. La température de ce compartiment est de 37° C, elle est autorégulée ;
- ensuite, on a le compartiment périphérique. Il est composé de la peau, des tissus sous-cutanés, des muscles squelettiques et des extrémités. Il sert de tampon entre l’environnement extérieur et le compartiment central. Sa température varie beaucoup plus que celle du compartiment central, car elle n’est pas régulée, contrairement à celle du compartiment central. Dans des conditions normales elle peut être de 2 à 4°C inférieure à celle du compartiment central. Lors d’un effort musculaire intense, elle peut monter jusqu’à 40°C, chaleur produite par l’effort musculaire. Le compartiment périphérique est une sorte d’isolant thermique qui protège le compartiment central des variations de température.
Les échanges de température entre ces 2 compartiments se font par convection sanguine et dépendent du tonus vasomoteur.
Physiologie de la thermorégulation
Centre thermorégulateur et zone de neutralité thermique
C’est l’hypothalamus antérieur qui joue le rôle de « thermostat » de l’organisme. Il reçoit les informations par les voies afférentes que sont les fibres C non myélinisées (pour la chaleur) et les fibres Aâ (pour le froid). Il intègre ces informations et envoie une réponse aux effecteurs thermiques par l’intermédiaire du système nerveux autonome.
En fait, les informations thermiques intégrées par l’hypothalamus proviennent de différentes régions de l’organisme : 80% des messages proviennent du compartiment central et le reste provenant des récepteurs thermiques cutanés. C’est donc une « température corporelle moyenne » qui est régulée. Imaginez qu’on vous verse un seau d’eau froide sur la tête (#Icebucketchallenge... pour faire cool… ou pas !) vous allez frissonner alors que votre température centrale n’aura pas changé. C’est la température cutanée = celle du compartiment périphérique qui chute.
La mission de l’hypothalamus est de maintenir la température dans une marge étroite, appelée la « zone de neutralité thermique » qui est autour de 37 +/- 0.2° C. Au-delà d’une variation de 0.2°C, les mécanismes régulateurs se mettent en route.
Thermogénèse et réponse au froid
En réponse au froid, et en dehors des réponses comportementales (mettre un pull…), les deux mécanismes de préservation de la chaleur sont la vasoconstriction en premier, puis le frisson :
- la vasoconstriction est donc la première réponse au froid. Elle est sous commande centrale via les récepteurs α1. Elle va permettre de diminuer l’afflux de sang chaud au niveau périphérique et des extrémités, en agissant sur les shunts artério-veineux des capillaires sous cutanés, ce qui va permettre d’éviter une perte de chaleur au contact du froid environnant. Ainsi la vasoconstriction périphérique permet de réduire de 25% la perte de chaleur cutanée et aussi de diminuer les échanges thermiques entre les deux compartiments afin de préserver la chaleur au niveau du compartiment central ;
- ensuite, lorsque la température continue de baisser malgré la vasoconstriction, c’est le frisson qui entre en jeu, qui a un seuil de déclenchement de 1°C en dessous celui de la vasoconstriction. Le frisson est une contraction synchronisée et involontaire des fibres musculaires, sous le contrôle des motoneurones α spinaux. Cette contraction musculaire augmente la production de chaleur et la V02 d’un facteur 2 ou 3, qui peut aller jusqu’à 6 lors des pics.
A ces réactions est associée la sécrétion de catécholamines, notamment de noradrénaline.
Physiopathologie de l’hypothermie peropératoire
Mécanismes de perdition thermique
Afin de comprendre la suite de cet exposé sur la physiopathologie de l’hypothermie peropératoire, voici la liste des mécanismes de perte de chaleur :
- la radiation : C’est un échange d’ondes infrarouges entre des surfaces de température différente. Elle ne nécessite pas de contact entre ces surfaces. C’est le mécanisme principal de perte de chaleur en peropératoire (40%) ;
- la convection : c’est un échange direct, par contact, entre une surface (peau) et un liquide en mouvement (eau ou air). C’est le 2e principal mécanisme de perte de chaleur en peropératoire (30%) ;
- la conduction : c’est un échange direct par contact entre deux surfaces ;
- l’évaporation/la respiration/la sudation.
Altération de la thermorégulation
L’anesthésie générale va modifier les seuils des réponses thermorégulatrices. Le seuil de vasoconstriction est abaissé, ainsi que celui du frisson qui reste décalé de 1°C par rapport au premier. Pareil pour la réponse à l’hyperthermie, les seuils sont décalés vers le haut. La zone de « neutralité thermique » est donc élargie sous anesthésie générale, pouvant atteindre 4°C, contrairement au 0,4°C en condition normales. Etant donné que la thermorégulation n’est plus aussi étroite, la température centrale du patient va essentiellement dépendre de la température de l’environnement.
Modification du bilan calorique
Comme on l’a vu précédemment, en conditions normales, le bilan calorique est nul. Or sous anesthésie générale, la production de chaleur diminue. La V02 baisse de 20 à 30% du fait du ralentissement du métabolisme, du travail musculaire et du travail respiratoire en ventilation mécanique. A l’inverse la perte de chaleur est augmentée, suite à la vasodilatation induite par l’anesthésie qui engendre une augmentation des pertes cutanées. Par ailleurs, la perfusion de solutés froids et de produits sanguins froids, favorisent la perte de chaleur. Cet effet semble être peut important par rapport aux autres mécanismes, excepté lors des transfusions massives, d’autant plus qu’elles sont administrées par voie veineuse centrale, ou elles arrivent directement au niveau du compartiment central (la transfusion de 1L de sang conservé à 4°C en 1h fait baisser la température centrale de 0,5°C). C’est pour cela que l’on utilise les « accélérateurs – réchauffeurs » au cours des grosses transfusions. Il est interdit d’utiliser d’autres moyens de réchauffement, exemple bain-marie, du fait du risque d’hémolyse si le réchauffement est mal réglé. D’autre part cette technique est inefficace, le produit se refroidissant au contact de la température ambiante lorsqu’il est accroché à la potence ou dans la tubulure (ça vaut aussi pour le réchauffement des solutés dans un bain-marie).
Le bilan calorique est donc négatif aboutissant progressivement à une perte de chaleur.
NB : une technique qu’une IADE m’a montré : faire passer la tubulure dans l’orifice de la couverture chauffante où est relié le bair hugger. Je ne sais pas si c’est efficace, ça vaut le coup d’essayer pour les solutés, mais je ne l’utiliserai pas pour les produits sanguins.
Les 3 phases de l’hypothermie peropératoire
Phase 1 = redistribution de chaleur.
La chute de température centrale la plus profonde et la plus rapide se produit dès l’induction de l’anesthésie, pendant la première heure ! On peut en effet se retrouver avec une chute de 1,5°C de température centrale dès la première heure. Le mécanisme principal qui explique ce phénomène est la redistribution de chaleur entre le compartiment central et périphérique, secondaire à la vasodilatation induite par l’anesthésie. En effet, dès l’induction de l’anesthésie, il se produit une vasodilatation périphérique. Or, le seuil de vasoconstriction en réponse à l’hypothermie est abaissé sous anesthésie. Le phénomène d’échange calorique entre ces 2 compartiments est donc augmenté grâce à la convection sanguine, qui rendu possible par cette vasodilatation. Donc, il va y avoir un « mélange de température » entre le compartiment central et le compartiment périphérique. Le compartiment central qui est initialement à 37°C va se « mélanger » avec le compartiment périphérique qui lui est froid. La résultante va donc être une sorte de « moyenne des deux compartiments », de sorte qu’on va se retrouver en situation d’hypothermie. Etant donné qu’il y a vasodilatation, le mécanisme protecteur qu’est la vasoconstriction périphérique n’est pas possible.
Cette chute de température est d’autant plus importante que le gradient de température entre les 2 compartiments avant l’anesthésie est important. C’est-à-dire, plus le compartiment périphérique est froid avant l’anesthésie, plus la chute de température après l’induction va être importante. Un des moyens de limiter ce phénomène est de réchauffer le compartiment périphérique avant l’anesthésie, comme ça après l’induction, le compartiment central se « mélangera » avec un compartiment périphérique plus chaud. Par contre, pendant cette phase, le réchauffement actif par couverture chauffante ne sert à rien, étant donné que le mécanisme est une redistribution de chaleur des deux compartiments.
C’est pourquoi il est primordial de réchauffer les patients par couverture chauffante dès leur arrivée au bloc opératoire. Même pour les interventions courtes, la perte de chaleur est la plus importante lors de la première heure ! Le fait que l’intervention soit rapide n’est pas une raison valable pour ne pas réchauffer les patients... De manière plus anecdotique, la chute de température est moins importante lorsqu’il existe de base une vasodilatation périphérique avant l’anesthésie : patient sous traitement vasodilatateur, patients obèses (qui présentent une vasodilatation à l’état de base)...
Phase 2 = bilan calorique négatif
Après la première heure, on continue de perdre de la chaleur, mais la baisse de température est plus lente et régulière de l’ordre de 0,5°C par heure. Cette perte de chaleur est la résultante de la négativité du bilan calorique, les pertes de chaleur excédant la production de chaleur. Lors de cette phase, le réchauffement actif par couverture chauffante devient efficace.
Phase 3 = stabilisation de la température centrale
Durant cette phase, la température centrale se stabilise. Ceci peut être expliqué par le fait que les réponses thermorégulatrices réapparaissent. Comme on l’a vu, les seuils de réponses thermorégulatrices au froid sont abaissés sous anesthésie. Or lorsqu’on atteinte un tel niveau d’hypothermie, ces seuils réapparaissent. La vasoconstriction périphérique réapparaît et rétablit la « barrière » entre le compartiment central et le compartiment périphérique. L’essentiel de la production de chaleur va donc être contenue dans le compartiment central, alors que le compartiment périphérique va continuer de se refroidir. On peut également avoir une réapparition du frisson chez les patients non curarisés. On peut donc les voir frissonner, on peut aussi voir une trémulation de la ligne de base sur l’ECG en peropératoire !
Cas de l’anesthésie loco-régionale (ALR) rachidienne et péridurale
L’anesthésie péridurale et la rachianesthésie entraînent une hypothermie comparable à celle induite par l’anesthésie générale. En effet la levée de la vasoconstriction dans le territoire bloqué entraîne une redistribution de chaleur du compartiment central vers le compartiment périphérique. Il en résulte une baisse de la température de 1°C dès la première heure. Il est donc également utile de réchauffer le compartiment périphérique de ces patients avant réalisation de l’anesthésie péridurale ou rachidienne. Par ailleurs, les seuils de thermorégulation sont également altérés sous anesthésie rachidienne et péridurale, avec un élargissement de la zone de « neutralité thermique ». Cette altération viendrait d’une erreur dans l’intégration des données thermiques venant du territoire bloquée, ou la température analysée serait plus chaude qu’elle ne l’est en réalité. Le système thermorégulateur tolérerait ainsi des températures plus basses avant de déclencher les réponses thermorégulatrices. Ce mécanisme pourrait expliquer le confort thermique qu’on ressent lors d’une rachianesthésie, alors qu’on est en situation d’hypothermie (je parle en connaissance de cause...). Ensuite, après la phase de redistribution initiale, la dette calorique continue d’augmenter, malgré le fait que la thermorégulation soit préservée dans les territoires non bloqués. Par contre le retour à la normothermie en cas d’anesthésie rachidienne se fait plus rapidement comparé à l’anesthésie générale, si on utilise un moyen de réchauffement actif. Du fait de la vasodilatation induite par le blocage sympathique, les transferts de chaleur sont favorisés. Si on combine anesthésie générale et anesthésie péridurale/rachidienne, l’hypothermie est plus importante que sous anesthésie générale seule. En effet le seuil de réapparition de la vasoconstriction est de 1°C plus bas que sous anesthésie générale seule. Par ailleurs, la vasoconstriction périphérique est empêchée dans les territoires bloqués, ce qui explique que l’effet de rétablissement de la barrière entre compartiment central et périphérique, afin de confiner la chaleur dans le compartiment central, est retardé.
Importance de la chirurgie dans la thermolyse
Les principales causes de perte de chaleur sont celles liées à l’anesthésie, comme on vient de le voir. Cependant la technique chirurgicale joue également un rôle : lors de l’exposition des viscères à l’air environnant, la perte de chaleur par évaporation sont importantes. C’est pourquoi, au lieu de laisser les viscères se dessécher et se refroidir sous le scialytique, le chirurgien a intérêt à les laver de temps en temps avec du sérum chaud. C’est là où la laparoscopie a aussi son intérêt, les viscères n’étant plus exposés à la température ambiante. Mais les viscères sont exposés au C02 qui est sec et froid, et au final il n’y a pas de différence au niveau de l’évolution de la température centrale entre laparotomie et laparoscopie.
Influence du terrain
Chez le sujet âgé, l’hypothermie est plus fréquente et plus profonde que chez le sujet jeune. En effet à cause d’un métabolisme de base réduit et d’une diminution des seuils de réponses thermorégulatrices, le bilan calorique est très négatif. Il faut donc surveiller la température centrale chez ces patients et les réchauffer longuement en SSPI. Ceci est également vrai chez le patient dénutri. Chez le patient obèse, comme on l’a déjà vu, il existe une vasodilatation relative à l’état de base. La redistribution de chaleur après anesthésie est donc moins marquée que chez le sujet non obèse. Ceci ne veut bien sûr pas dire qu’il ne faut pas réchauffer ces patients et monitorer leur température centrale ! Enfin chez les patients diabétiques avec dysautonomie neurovégétative, l’hypothermie est plus marquée du fait d’une altération de la réponse vasoconstrictrice.
Conséquences de l’hypothermie peropératoire
Je vais maintenant vous présenter les conséquences de l’hypothermie. Celles-ci sont bien entendu variables selon le degré et la durée d’hypothermie. En peropératoire il est tout de même rare de se retrouver en dessous de 33-34°C, même si c’est possible, notamment chez les patients polytraumatisés ou pour les grosses interventions avec champ opératoire large et anesthésie combinée (exemple : Lewis-Santy…). L’hypothermie est dite modérée entre 34 et 36°C et profonde entre 32 et 34°C. Globalement la physiopathologie de l’hypothermie est une diminution des réactions enzymatiques, responsables du fonctionnement cellulaire et des organes, ainsi que de la baisse de la V02, qui devra être compensée au réveil.
Effet cérébral
L’hypothermie est protectrice cérébrale. D’une part elle permet une diminution du métabolisme cérébral avec diminution de la consommation d’oxygène cérébrale, d’autre part, et ceci semble être le mécanisme prédominant, elle permet de diminuer les phénomènes d’apoptose. En effet, elle inhibe les cascades neuro-excitatrices avec baisse de l’afflux de calcium intracellulaire et du taux de glutamate. Par ailleurs, elle diminue la réponse inflammatoire et la production de radicaux libres. C’est pourquoi l’hypothermie thérapeutique est utilisée dans toutes les situations à haut risque de lésions cérébrales (chirurgie cardiaque lourde, trauma crânien, neurochirurgie…). En effet après lésion neurologique, certaines aires cérébrales peuvent avoir une température de 2°C supérieure à la température centrale. Or, l’hyperthermie augmente significativement le risque et l’extension des lésions neurologiques. Je précise tout de même que chez le sujet conscient, l’hypothermie altère l’état de conscience et induit un coma aux alentours de 30-32°C.
Proverbe canadien : Si vous êtes bien sous une couche de neige, vous êtes probablement en hypothermie. N'ayez crainte, ça ne durera pas...
Effet cardiovasculaire
Par diminution du métabolisme et par réduction de la conduction intra-ventriculaire, l’hypothermie peut induire une bradycardie et des troubles du rythme qui, à l’extrême, peut se transformer en fibrillation ventriculaire (FV) (pour des températures L’onde J d’Osborne est un stigmate de la profondeur de l’hypothermie et témoigne d’une modification des flux calciques.
Un patient hypotherme manœuvres de réanimation doivent être prolongées jusqu’à réchauffement et en cas de fibrillation ventriculaire, un seul choc électrique est permis et l’administration d’adrénaline doit être limitée. En cas d’échec, le MCE doit être prolongé jusqu’à réchauffement. Le risque de troubles du rythme est également majoré en cas d’utilisation de catécholamines . Par ailleurs, l’hypothermie induit également une altération de la fonction diastolique. Lors du réveil du patient hypotherme, les seuils de réponses thermorégulatrices au froid réapparaissent. La vasoconstriction périphérique et le frisson sont associés à une augmentation de la consommation en oxygène du myocarde (comme en témoigne la baisse de la ScV02) et à une sécrétion de noradrénaline endogène. On peut alors comprendre que chez le patient coronarien, cette situation n’est pas souhaitable et est à risque de déclencher une souffrance myocardique.
Effet ventilatoire
Au cours de l’hypothermie on observe une hypocapnie, d’une part par la réduction du métabolisme de base et du débit cardiaque, d’autre part par l’augmentation de la solubilité du C02. Au réveil, la production de C02 réaugmente suite à l’augmentation de la V02 et du débit cardiaque. Cet effet peut engendrer une augmentation du travail respiratoire, qui n’est pas souhaitable chez les patients avec un état respiratoire précaire.
Effet rénal et métabolique
L’hypothermie profonde peut induire une tubulopathie avec polyurie. Il faudra alors surveiller la volémie et la natrémie. Elle peut aussi induire des troubles hydro-électrolytiques par perturbation de la régulation du potassium, du magnésium et du phosphore. Enfin, l’hypothermie engendre une insulinorésistance.
Effet sur l’hémostase
Pour des températures entre 33 et 36°C l’hypothermie altère l’agrégation plaquettaire. Pour des températures
Pour rappel, les temps de coagulation (TP et TCA) sont réalisés à 37°C et ne sont donc pas un reflet fiable de l’état de la coagulation in vivo chez un patient hypotherme.
Effet sur le système immunitaire et la cicatrisation
L’hypothermie diminue l’immunité cellulaire et humorale par plusieurs mécanismes : diminution de l’efficacité de la réponse immunitaire non spécifique, diminution par la vasoconstriction, de la pression partielle tissulaire en oxygène, qui réduit l’activité bactéricide des phagocytes et accroissement de la synthèse des sidérophores bactériens, qui sont indispensables à la croissance bactérienne. Ainsi l’hypothermie favorise les infections bactériennes et les infections du site opératoire. Par ailleurs, suite à la diminution de la pression partielle tissulaire en oxygène, l’hypothermie diminue la synthèse de collagène au niveau du site opératoire, ce qui altère et prolonge la cicatrisation. Combiné aux effets immunitaires, c’est une association parfaite pour induire une infection du site opératoire.
Effets pharmacologiques
Par l’intermédiaire d’une diminution du métabolisme du CYP450 et d’une diminution du débit sanguin hépatique, l’hypothermie peut prolonger la clairance de certaines molécules comme le propofol et l’atracurium. Donc monitorage indispensable ! Par ailleurs la solubilité des halogénés est augmentée avec une baisse de 5% de la MAC par degré perdu.
Prévenir l’hypothermie et ses conséquences
J’espère que par l’intermédiaire de l’exposé ci-dessus, je vous ai convaincu qu’il est indispensable et primordial de prévenir l’hypothermie peropératoire et de monitorer la température centrale en per et postopératoire, même pour des interventions courtes. Maintenant, nous allons voir quels sont ces moyens de prévention et comment peut-on limiter les dégâts une fois qu’elle est installée.
Pré-réchauffement et Concept de la « chaine du chaud »
Comme nous l’avons vu, le mécanisme principal de la perte de chaleur est une redistribution de la chaleur du compartiment central vers le compartiment périphérique, qui est plus froid. Cette redistribution de chaleur est d’autant plus importante que la différence de chaleur entre ces deux compartiments est importante. Donc au lieu de laisser nos patients attendre dans le froid au bloc opératoire, il est primordial de réchauffer leur compartiment périphérique (=la peau) de manière active par couverture chauffante, dès leur arrivée au bloc opératoire. Ainsi après l’induction de l’anesthésie, la chaleur stockée dans le compartiment périphérique avant l’anesthésie se mélangera avec la chaleur du compartiment central. La résultante sera une baisse beaucoup plus faible de la température. On « part alors de plus haut » ce qui permet d’avoir de la marge quant à la perte de chaleur peropératoire induite par la négativité du bilan calorique. C’est ce qu’on appelle « la chaine du chaud ». Il ne faut pas que le patient se refroidisse lorsqu’il passe au bloc opératoire. Pensez à la « chaîne du froid » pour les produits frais…,vous n’aimeriez pas manger un bœuf bourguignon dans sa barquette s’il a été conservé au chaud. Et bien c’est pareil pour le patient, de manière inversée. On n’aimera pas endormir un patient qui est resté au froid en attendant d’être endormi.
Réchauffement peropératoire
Le pré-réchauffement est une chose, il ne dispense pas de réchauffer les patients en peropératoire. Pour ce faire il faut arriver à couvrir le maximum de surface cutanée. Ceci peut être à l’origine de dispute avec le chirurgien, mais il doit bien comprendre qu’il est primordial de couvrir un maximum de surface. Sinon le bénéfice de son intervention risque d’être atteinte par les effets néfastes de l’hypothermie (infection site opératoire, retard de cicatrisation). Donc après l’anesthésie/l’intubation, on recouvre le patient d’une couverture « corps entier » pendant l’installation. Ensuite on adapte en fonction du site opératoire. Moi j’aime bien "grignoter" le plus possible le champ opératoire, quitte à replacer la couverture et à titiller le chirurgien ! Même le fait de réchauffer les jambes pendant une laparotomie est bénéfique pour le réchauffement peropératoire. Par ailleurs ne pas oublier de mettre un drap par-dessus la couverture chauffante, ce qui va produire un « effet serre ». Si la couverture chauffante est trop petite, ne pas hésiter à recouvrir les extrémités (pieds et mains) par un drap. Encore un rappel ici pour dire que pendant la première phase de l’hypothermie peropératoire, le réchauffement actif ne sert à rien, étant donné que c’est la redistribution de chaleur entre les deux compartiments qui est le mécanisme principal. Le seul moyen de prévention pour cette phase (qui dure 1h) est de réchauffer les patients AVANT l’anesthésie (30-60min avant). D’autres moyens sont également utiles comme le réchauffement de la salle d’opération. Certains l’aiment froide, mais certains l’aiment chaude aussi. J’ai connu un chirurgien viscéral qui mettait la température à fond, on se serait cru sous les cocotiers !! Dans tous le cas, le réchauffement par couverture chauffante est le moyen le plus efficace, après s’il est possible de monter un peu la température de la salle, c’est toujours ça de gagné. On comprend aussi que ces pauvres chirurgiens transpirent à grosse goutte sous leur casaque et qu’il faut donc les ménager !
Réchauffement postopératoire
Après arrêt de l’anesthésie, les seuils de réponse thermorégulatrice réapparaissent. C’est pourquoi il est toujours délicat de réveiller un patient encore hypotherme, car on l’expose aux frissons et à la vasoconstriction périphérique avec augmentation de la consommation en oxygène et de la sécrétion de noradrénaline. Donc il est toujours conseillé de maintenir le patient sous anesthésie tant qu’il n’est pas entièrement réchauffé (36 ,5°C). Pour ce faire, toujours la même chose = la couverture chauffante. Là encore on peut s’aider de « l’effet serre » pour réchauffer plus rapidement. C’est un IADE qui est connu pour cette technique par chez moi : il recouvre entièrement le patient d’un drap, par-dessus la couverture chauffante. Le drap va des pieds jusqu’à la tête qui est recouverte. Ça donne un aspect un peu lugubre au patient (qui est toujours sous AG) mais ça marche très bien ! Il existe également des moyens pharmacologiques pour prévenir le frisson : Clonidine (150µg), tramadol (1mg/kg) et néfopam (20mg) permettent d’abaisser le seuil d’apparition du frisson et de donc laisser le temps au patient de se réchauffer. On peut également citer la dexmedetomidine comme prévention du frisson postopératoire.
Autres moyens
D’autres solutions pharmacologiques existent mais ne sont qu’à l’état de recherche ou peu utilisées. Il s’agit de la perfusion d’acides aminés qui augmentent la production de chaleur par augmentation du métabolisme oxydatif. Cependant, ce moyen se heurte aux contre-indications que sont l’intolérance veineuse, l’insuffisance hépatique et rénale. Comme je l’ai dit plus haut, le réchauffement des produits sanguins et des solutés peut être une aide, même si le gain de température est relativement faible, sauf dans les cas de transfusion massive. Par ailleurs, le réchauffement des gaz anesthésiques et des gaz en laparoscopie n’ont pas montré d’effets significatifs sur l’hypothermie peropératoire. A noter que l’induction d’une anesthésie avec de la kétamine diminue l’intensité de la redistribution initiale comparée à une induction au propofol. Aussi, le fait d’administrer un vasoconstricteur au moment de l’anesthésie, tel que la phenyléphrine, réduit également cette redistribution.
Moyens de monitorage
Voici un bref rappel des moyens de monitorage et leurs limites. On l’aura bien compris, en peropératoire c’est la température centrale qu’il faut recueillir. Pour ce faire on peut utiliser une sonde oesophagienne qui est placée à 35-40 cm des arcades dentaires. Elle n’est cependant pas utilisable en cas de chirurgie gastrique et oesophagienne. L’alternative est l’utilisation d’une thermistance sur une sonde urinaire spécifique. Mais cela nécessite d’avoir une diurèse au moins égale ou supérieure à 50ml/h. Enfin, on peut monitorer la température centrale proche de l’hypothalamus en la mesurant au fond du conduit auditif, par un thermomètre tympanique. On peut aussi avoir un monitorage de la température lorsqu’on utilise un monitorage invasif du débit cardiaque comme le PICCO ou la Swan Ganz.
Ce qu'il faut retenir...
Que peut-on retenir pour la pratique quotidienne ? :
- tout patient arrivant au bloc opératoire pour une AG ou une rachianesthésie, peu importe le type de chirurgie, doit être réchauffé de manière active 30-60 min avant l’induction de l’anesthésie ;
- en peropératoire, il faut continuer le réchauffement en couvrant le plus possible de surface corporelle et réchauffer les perfusions si transfusion massive ;
- monitorer la température centrale ;
- en postopératoire, maintenir le patient sous AG tant qu’il n’est pas réchauffé à 36,5°C et continuer le réchauffement avec la couverture avec « l’effet serre » ;
- être prudent chez les patients coronariens, insuffisants respiratoires, âgés et dénutris. Traquer le frisson et les troubles du rythme.
Et plus largement ?
- l’être humain est homéotherme. La température centrale doit être maintenue constante pour que les réactions enzymatiques se fassent de manière optimales ;
- modèle à 2 compartiments caloriques: le compartiment central qui contient les organes nobles et dont la température et autorégulée, et le compartiment périphérique qui sert d’isolant thermique et de tampon, dont la température n’est pas régulée ;
- le thermostat de l’organisme c’est l’hypothalamus antérieur : sa mission est de maintenir la température centrale dans la zone de « neutralité thermique » ;
- les réponses à l’hypothermie: d’abord vasoconstriction puis frisson ;
- les 2 principaux mécanismes de perte de chaleur: radiation et convection ;
- physiopathologie de la thermolyse sous anesthésie : 1) altération de la thermorégulation avec diminution des seuils de réponses au froid ; 2) negativation du bilan calorique ; 3) redistribution de chaleur entre les 2 compartiments ;
- les 3 phases de l’hypothermie: Phase 1 = rapide dès l’induction = baisse brutale et profonde de la température ; Phase 2 = ralentissement de la perte de chaleur ; Phase 3 = stabilisation après réapparition de la vasoconstriction ;
- anesthésie générale + peridurale >> anesthesie générale en terme de perte de chaleur ;
- hypothermie plus profonde et plus fréquente chez le sujet âgé et denutri ;
- conséquences de l’hypothermie: troubles du rythme, saignement, infections bactériennes ;
- conséquences du réveil d’un patient hypotherme : augmentation de la consommation d’oxygène du myocarde et du travail respiratoire = ischémie myocardique + ;
- moyens de prévention : Pré-Réchauffement/Chaîne du chaud, réchauffement actif en perop, réchauffement en postop sous AG QSP 36.5°C, prévention pharmacologiques des frissons, réchauffement des perfusions.
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Cet article "L’hypothermie peropératoire : comment ne plus se les geler au bloc" a été publié sur le blog du Gazier le 3 janvier 2015.
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