Le syndrome du bébé secoué est un traumatisme crânien infligé par secouement. Il est observé chez des nourrissons de moins de 1 an, souvent moins de 6 mois. Les symptômes ne sont pas spécifiques et d’importance variable. Les conséquences sont graves : décès, séquelles neurologiques et sensorielles. Le taux de récidive du secouement est élevé, estimé à plus de 50 % des cas, ce qui souligne l’importance de reconnaître le syndrome et de prévenir la récidive.
C’est en 1972 qu’un radiopédiatre, John Caffey, introduit le terme « dewhiplash shaken infant syndrome » : syndrome du bébé secoué (SBS).
Il est aisé d’expliquer au grand public pourquoi secouer un nourrisson présente pour lui un grave danger. En effet, le poids de la tête du bébé est relativement élevé par rapport à celui de son corps et les muscles de la nuque sont encore faibles. Maintenu par le tronc ou les épaules, si le bébé est secoué dans un mouvement de va-et-vient, le cerveau se déplace donc dans la boîte crânienne, ce qui produit un étirement des veines-ponts reliant le cortex cérébral et le sinus veineux. Il se produit alors des hémorragies responsables, entre autres lésions, d’hématomes sous-duraux.
Avant d’aller plus loin dans l’approche du SBS, il est nécessaire d’apporter une précision. Globalement le SBS est aujourd'hui associé à la maltraitance. Cependant cette dernière n’est pas systématiquement intentionnelle. Le nourrisson peut être en effet secoué par une personne qui pense bien faire
lors d'un malaise par exemple ou pour tenter de calmer ses pleurs, mais aussi par jeu, d’où la nécessité d’une large information préventive.
L’incidence du SBS varie entre 15 et 30/100 000 enfants de moins de 1 an. Si l’on rapporte ces résultats au nombre de naissances en France, on peut estimer que 120 à 240 nourrissons pourraient être concernés chaque année par cette maltraitance. Mais il n’existe pas de données épidémiologiques françaises.
Quelle définition ?
Le SBS est un problème de santé publique. Il entend un sous-ensemble des traumatismes crâniens (TC) infligés (TCI), ou TC non accidentels dans lequel c’est le secouement seul ou associé à un impact qui provoque le TCI. Le SBS survient le plus souvent chez un nourrisson de moins d'un an1.
Il est souvent difficile de différencier TCI et TC accidentels. La méconnaissance du diagnostic fait courir un risque de récidive de la maltraitance.
Quels éléments cliniques ?
Éléments cliniques en faveur d’un SBS
Le nourrisson présente les signes d’une atteinte neurologique :
- modification du tonus musculaire dans le sens d’une hypotonie axiale ;
- changements de comportement : le bébé ne sourit plus, ne répond que partiellement ou plus du tout aux stimuli ;
- bombement de la fontanelle.
Éléments cliniques non spécifiques du SBS, pouvant fausser le diagnostic
- le nourrisson est retrouvé mort ;
- pleurs, geignement, irritabilité, modifications du sommeil, mauvaises prises alimentaires, moins de sourires ;
- vomissements ;
- pauses respiratoires ;
- pâleur.
Certaines données de l’anamnèse peuvent évoquer un TCI
Éléments devant interpeller les professionnels qui reçoivent un nourrisson décédé ou présentant des signes d’atteinte neurologique :
- le nourrisson est présenté tardivement pour être examiné suite aux troubles qu’il présente ;
- des explications contradictoires sont données par les personnes accompagnant le nourrisson2 ;
- un traumatisme mal défini est évoqué ;
- un antécédent de mort non ou mal expliquée est retrouvé dans la fratrie.
Facteurs de risque liés au nourrisson
- le nourrisson est un garçon (tous les garçons ne sont pas des enfants secoués) ;
- prématurité (tous les enfants nés prématurément ne sont pas des enfants secoués) ;
- enfant né d’une grossesse multiple (tous les enfants nés de grossesse multiple ne sont pas des enfants secoués ) ;
- pleurs incessants d’un nourrisson peuvent provoquer l’énervement puis l’incitation à la maltraitance chez les adultes qui s’en occupent. Lorsque des parents consultent pour des pleurs fréquents chez leur enfant, il est essentiel « d’évaluer » le niveau de tolérance de ces parents confrontés à ces pleurs3.
Facteurs de risque liés à la personne qui « secoue »
- dans la majorité des cas (70 %), il s'agit d'un homme, c’est le père plus souvent que le compagnon de la mère qui secoue4 ;
- il n’y a pas de lien significatif entre le SBS et le milieu socio-économique.
Les lésions associées
- les méninges (hémorragies sous-durales ou sous-arachnoïdiennes), l’encéphale, l’oeil et la moelle épinière sont susceptibles d’être lésés dans le SBS ;
- d’autres lésions peuvent être associées : fractures des membres, des côtes, du crâne, ecchymoses du scalp, hématomes des muscles du cou, lésions rachidiennes postérieures.
- lésions oculaires : les hémorragies rétiniennes (HR) ne sont pas constantes dans le SBS.
- lésions des muscles du cou, du rachis ou de la moelle cervicale ;
- lésions cutanées : les ecchymoses sont, en l’absence de cause médicale, très évocatrices de mauvais traitements chez un nourrisson et la localisation au cuir chevelu est particulièrement importante à rechercher ;
- lésions osseuses : bilan clinique à pratiquer devant une suspicion de SCS : analyse des courbes staturo-pondérale et de périmètre crânien, examen clinique complet à la recherche d’éventuelles lésions traumatiques, examen neurologique où l'on note le périmètre crânien (à comparer aux chiffres antérieurs), l’état de la fontanelle, du tonus axial, un éventuel déficit moteur.
Les examens complémentaires
Devant les signes cliniques neurologiques, les examens suivants sont demandés :
- scanner cérébral, NFS + plaquettes, TP, TCA, facteurs de coagulation, radiographies de squelette entier.
Diagnostics différentiels
Le diagnostic différentiel principal est le TC accidentel. Des diagnostics médicaux, plus rares, doivent être éliminés
Quelle prise en charge ?
Lorsqu’un bébé est conduit mort à l'hôpital et s’il ne s’agit pas de l’évolution terminale d’une pathologie connue, le diagnostic de TCI doit être évoqué systématiquement parmi les causes de mort inattendue. L’entretien avec l’entourage proche doit être respectueux, mais aussi minutieux pour connaître les conditions décrites du décès. De toute façon, devant une mort inattendue du nourrisson, il est recommandé d’obtenir le consentement des parents à une autopsie qui permettra éventuellement de recueillir les éléments du diagnostic de secouement (en sachant que tout élément de suspicion peut amener à alerter le Procureur de la République qui pourra ordonner une autopsie médico-légale).
Devant une détresse neurologique aiguë inaugurale, l’état clinique du bébé conduit à pratiquer en urgence un scanner cérébral et, devant la constatation d’hémorragies intracrâniennes, à rechercher la présence simultanée d’autres signes de secouement : signes de mauvais traitements (lésions cutanées, lésions osseuses).
Devant des signes qui doivent orienter vers une atteinte neurologique, tels que décrits plus haut (modifications du comportement, mauvaises prises alimentaires, moins bon contact, moins de sourires, diminution des compétences de l’enfant, modifications du tonus - hypotonie axiale , mais aussi devant certains signes non spécifiques - vomissements, troubles respiratoires pauses, apnées, pâleur, bébé qui semble douloureux ), l’essentiel est d’évoquer un secouement.
Le diagnostic de secouement /maltraitance chez un nourrisson conduit à l’hôpital est particulièrement difficile à poser. Généralement, le médecin ayant accueilli le nourrisson le fera hospitaliser comme il le fait pour tout enfant chez qui il y a une suspicion de maltraitance. Le temps de l’hospitalisation a au moins deux buts :
- protéger immédiatement l’enfant d’éventuels sévices dirigés contre lui ;
- donner le temps aux professionnels de la santé et sociaux, d’analyser la situation de rechercher ce qui sera le plus bénéfique d’abord pour l’enfant mais aussi pour sa famille.
A lire : Syndrome du bébé secoué ou traumatisme crânien non accidentel par secouement
Trois questions à Brigitte Prevost-Meslet, infirmière puéricultrice
Brigitte Prevost-Meslet, infirmière puéricultrice de santé publique, responsable de la commission Protection de l’Enfance à l’ANPDE, intervient également en PMI. Elle répond à 3 questions sur le sujet.
Infirmiers.com : Pour vous, le sujet du syndrome du bébé secoué est-il suffisamment abordé ? La population et notamment les futurs parents sont-ils informés ?
Brigitte Prevost-Meslet : Pas du tout, il y a un manque flagrant de connaissances sur le secouement du bébé et les répercussions sur le bébé d’une telle pratique. J’étais récemment dans une classe de terminale, au lycée. Aucun des élèves présents n’avait entendu parler du syndrome du bébé secoué. Il faudrait que le ministère et les médias s’emparent de ce sujet, avec des créations de spots publicitaires pour toucher un maximum la population, encore trop peu informée. Les Canadiens ont fait un document « Quand je pleure, je parle » et se sont intéressés à montrer ce que ressent le bébé. La France devrait faire de même : donner des éléments de compréhension de ce que vit un bébé aux parents. C’est la base ! Je crois qu’il y a beaucoup à faire sur le sujet au niveau préventif. Il y a un large champ à explorer et une urgence à s’adresser aux enfants, futurs adultes et futurs parents. L’enfant et la connaissance de l’enfant (ce qu’il ressent, ce qu’il pense, les différents stades de son développement psychomoteur, sensoriel…) ne sont toujours pas au cœur des préoccupations des politiques publiques aujourd’hui en France. Il est temps que nous progressions en matière de sensibilisation et d’information à la population.
Infirmiers.com : Entre difficultés à diagnostiquer et recommandations de la HAS, comment faire, en tant que professionnel(le), pour dépister ce syndrome ?
Brigitte Prevost-Meslet : Il faut être à la fois dans l’observation fine du bébé (pas qu’une fois mais dans un suivi) et également le recueil des observations de l’adulte qui prend en charge l’enfant. Les symptômes du syndrome du bébé secoué sont très divers. Sans être exhaustif, on peut citer : un enfant qui devient subitement hypotonique, qui a du mal à suivre du regard, qui se met à pleurer ou à des pleurs différents, qui convulse, qui ne sourit plus, ne babille plus, qui vomit, qui présente des troubles oculaires, qui perd l’appétit, qui présente une somnolence étonnante, une rigidité du corps, qui a du mal à respirer, un enfant qui ne réagit plus au son… doit éveiller l’attention du professionnel. Il peut aussi y avoir à distance un retard de développement de l’enfant. C’est par l’entretien avec les adultes référents que le professionnel doit chercher à comprendre quelle est l’origine de ces troubles et s’interroger sur la possibilité d’un secouement. Pour moi il est particulièrement important de ne pas être dans le jugement mais de considérer qu’il s’agit d’une méconnaissance (du moins dans un premier temps). Le climat de confiance entre le professionnel et l’adulte référent va permettre de délier les langues et d’autoriser ce dernier à dire ce qu’il a fait, s’il y a lieu. Il faut que les adultes puissent dire qu’ils ont secoué un bébé pour pouvoir le prendre en charge au plus vite. C’est dans un deuxième temps qu’on pourra faire la part des choses entre méconnaissance, accident et maltraitance. Il s’agit d’un travail d’investigateur qui demande beaucoup d'entretiens, une capacité d’écoute et d’observation.
Infirmiers.com : Les recommandations de la HAS (cf encadré ci-dessous) vous semblent-elles trop "catégoriques", comme le suggèrent l'association de familles ADIKIA, ainsi qu'un avocat ? Doit-on revoir ou ajuster ces recommandations ?
Brigitte Prevost-Meslet : La HAS préconise de bonnes pratiques
. Les dernières recommandations publiées par la HAS s’adressent notamment aux professionnels ne l’oublions pas. C’est un document au contraire, extrêmement complet auquel il ne faut rien enlever. Trouver ces recommandations trop catégoriques, ce serait nier les conséquences pour le bébé d’un secouement par des adultes. Les séquelles sont importantes, voire vitales, et il est primordial que les professionnels aient à disposition une « boîte à outil » pour faire face à cette question. Si des jugements désignent injustement des adultes responsables, c’est au niveau des services judiciaires, de police et de gendarmerie que revient la responsabilité de désigner avec justesse l’auteur des faits.
Insistons sur l’importance de l’amélioration et de la vulgarisation de l’information auprès de la population, avec régularité, au fil des ans, via les médias et des fiches simples avec des recommandations qui permettent de faire passer des messages : un adulte énervé, se tient à distance d’un bébé… Il n’entre pas dans sa chambre, ne le tient pas dans ses bras, et passe la main à une autre personne, s’il se sent en colère et qu’il sent qu’il a des difficultés à gérer ses pulsions. Il se calme avant d’aller voir bébé.
Les pictogrammes du carnet de santé, également, pourraient être améliorés de façon à les rendre plus visuels et adaptés, en reprenant par exemple les signaux « danger », « interdit »... qui sont un langage connu et commun à un grand nombre d’individus.
Pour conclure
La responsabilité des professionnels est vivement impliquée dans le dépistage des SBS puis le suivi des enfants concernés par cette forme de maltraitance, ce qui ne peut que les inciter à vérifier et actualiser leurs connaissances, non seulement sur la pathologie, mais également en droit, dont le droit pénal concerné dans les situations de maltraitance.
Les dernières recommandations de la HAS controversées
Les dernières recommandations de la Haute Autorité de Santé sur le syndrome du bébé secoué datent de 2011 et ont été réactualisées en 2017. Dans un document de 44 pages, la HAS détaille ainsi les lésions engendrées par le secouement d'un bébé et précise la démarche diagnostique à respecter. S'adressant plus spécifiquement aux équipes hospitalières d'une part, et d'autres part aux soignants exerçant en libéral ou en PMI, la HAS fait plusieurs préconisations et insiste sur l'importance d'établir un dialogue avec les parents, pour recueillir iniatialement leurs explications quant aux lésions présentées par l'enfant. Il s'agit d'établir l'origine traumatique des lésions et non pas de déterminer qui en est l'auteur, question qui relève de la seule compétence du procureur de la République. Il convient d'informer les parents, et eux-seuls que, compte tenu de la gravité de la situation de leur enfant, le procureur de la République sera avisé, en leur précisant que seul celui-ci appréciera les suites judiciaires à donner
. La HAS précise encore que les parents doivent être informés du signalement et éventuellement de son contenu (sauf si cela est contraire à l'intérêt de l'enfant) et de la possibilité d'une Ordonnance de Placement Provisoire (OPP)
. Aux soignants non-hospitaliers, il est recommandé de veiller à détecter les situations à risque (pleurs incessants, parents épuisés, violences intrafamiliale...) afin de les orienter rapidement vers des lieux-ressources (PMI, entourage...)
Enfin, les professionnels de santé libéraux et de PMI doivent savoir évoquer la maltraitance et orienter l'enfant vers l'hôpital, après contact avec l'équipe hospitalière, quand les signes cliniques sont présents
. Ce sont justement ces signes cliniques qui ont alarmé un avocat et une association de famille début décembre. Ils demandent l'abrogation des recommandations de la HAS sur le syndrome du bébé secoué, soulignant les risques d'erreurs judiciaires. Le sujet reste en effet extrêmement sensible en raison de sa gravité potentielle mais aussi en raison de la difficulté à établir un diagnostic. L'avocat dénonce ainsi une injonction de signalement
de la part de la HAS à destination des professionnels et voit davantage dans ces recommandations un manuel d'expertise à destination du monde judiciaire
, résume-t-il.
Notes
- Syndrome du bébé secoué, Rapport d’orientation de la commission d’audition, mai 2011, SOFMER, avec le soutien méthodologique de la Haute Autorité de Santé ;
- Ces personnes peuvent être les parents, une assistante maternelle, un professionnel exerçant dans une structure d’accueil des jeunes enfants, un ou une voisin(e)...
- Des parents « bons parents » peuvent devenir maltraitants confrontés à des situations stressants : père ou mère travaillant de nuit, ne pouvant pas se reposer la journée confrontés aux pleurs d’un bébé dans un logis trop exigu.
- Ibid.
Marie-Jeanne LORSON Cadre de santé infirmier
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