Suite à la nouvelle réforme des études conduisant au diplôme d’état infirmier, quel professionnel de santé ne s’est pas posé la question de ce que pouvait véritablement être le « portfolio » ?
Ce gros classeur interroge, inquiète, fait entrer dans un autre monde, une autre logique. De nombreuses craintes sont verbalisées par les soignants : « ce n’est pas pour nous... C’est trop intellectuel... Nous n’avons pas le temps... ». Alors nous vous proposons d’essayer de lever le voile sur cet outil. Partons donc à la rencontre d’un professionnel sceptique du portfolio et d’un autre convaincu de son utilité.
Si comme moi, vous faites encore ou faisiez parti des sceptiques du portfolio, je vous invite à lire ces quelques lignes pour peut-être avoir une vision différente de ce dernier, une vision plus positive... (Il n’est jamais trop tard pour bien faire !)
Notre métier, notre formation en soins infirmiers est depuis très longtemps ancrée sur la notion des trois savoirs (savoir, savoir être et savoir faire). Nous savons tous fort bien que c’est une formation professionnalisante mettant en avant la « praxis » c'est-à-dire la pratique. Nous restons encore fortement accrochés à l’action, « au faire ». Et voilà qu’on nous parle d’un « savoir y faire »... Qu’on nous parle « d’expérimentation », de « réflexivité », « de formation universitaire, de licence... ». Et tout se met à chavirer, tout se bouscule dans notre tête...
- Mais où va-t-on ?
- Que va devenir notre profession ?
- Comment allons-nous travailler dans trois ans avec ces jeunes professionnels ?
De leur côté, les étudiants clament une équivalence pour une licence, au regard du contenu de la formation, de sa durée et des accords de Bologne. Combien d’entre nous les soutenons pour faire avancer la profession d’infirmière et en faisons des alliés ? N’est-il pas légitime de vouloir faire évoluer et reconnaître la profession ?
Certes, nous avons besoin de notre savoir faire quotidiennement. Pour répondre aux besoins du marché du travail, pour encore mieux « y faire », n’est-il pas nécessaire de passer par l’argumentation de nos actes afin de donner du sens et se positionner davantage pour mettre en avant nos compétences ?
Le portfolio est un outil qui oblige les professionnels à mettre en mot leur pratique. Entrer dans la logique de compétences demande de lâcher prise sur la réalisation d’actes professionnels séquentiels et privilégier le champ du sens de l’activité de soin prodigué et donc personnalisé.
Le mot le plus employé des soignants aujourd’hui est « je n’ai pas le temps ». Alors comment « rentabiliser » son temps pour encadrer et donner à voir de son activité soignante à l’apprenant ?
L’infirmière a un « cœur » de métier qui est souvent morcelé entre différents professionnels, aide-soignante, internes et autres partenaires. Les soignants verbalisent fortement leur mal être face à cette situation.
Le portfolio propose dix compétences infirmières (arrêté du 31 juillet 2009 relatif au DEI, annexe II) que l’apprenant va devoir acquérir.
Les 10 compétences
- Évaluer une situation clinique et établir un diagnostic dans le domaine infirmier
- Concevoir et conduire un projet de soins infirmiers
- Accompagner une personne dans la réalisation de ses soins quotidiens
- Mettre en œuvre des actions à visée diagnostique et thérapeutique
- Initier et mettre en œuvre des soins éducatifs et préventifs
- Communiquer et conduire une relation dans un contexte de soins
- Analyser la qualité des soins et améliorer sa pratique professionnelle
- Rechercher et traiter des données professionnelles et scientifiques
- Organiser et coordonner des interventions soignantes
- Informer et former des professionnels et des personnes en formation
N’est-ce pas là un challenge à relever pour les professionnels infirmiers ? Pour cela il est nécessaire de porter un regard sur son activité et décoder son travail afin d’établir un lien entre les situations de soin et les compétences visées dans le portfolio. Cela permet de repositionner l’essence même de l’activité infirmière et parfois recadrer les missions de chacun au sein d’une équipe.
Les professionnels étant ainsi en phase avec les situations de soins prévalentes dans leur unité, il devient alors plus aisé de cibler les compétences que l’étudiant va pouvoir développer durant le stage. Les infirmières seront alors plus enclin à transmettre et valoriser le savoir soignant, puis le valider dans le portfolio.
Le portfolio de l’étudiant
Mais arrêtons-nous sur le titre : portfolio de l’étudiant (titre défini par l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au DEI, annexe VI). Ce classeur est donc un document unique et spécifique à chaque apprenant. Il retrace le parcours de l’étudiant en soulignant sa progression et ses acquisitions. C’est donc l’étudiant qui va écrire en y annotant :
- ses objectifs de stage,
- ses demandes situationnelles,
- les situations de soins les plus marquantes, les plus interpellantes,
- son degré d’autonomie pour la réalisation de certaines activités,
- ses acquis en formation,
- sa validation des 10 compétences,
- ses acquisitions en matière d’actes, d’activités et de techniques de soins.
Il devient ainsi le gardien d’une partie de son apprentissage. Pour ce faire, l’étudiant renseigne son portfolio au fur et à mesure, grâce à la collecte des données professionnelles. L’apprentissage en stage devient alors lisible et visible et oriente les professionnels dans l’accompagnement du parcours de stage. Le portfolio devient en quelque sorte pour l’étudiant sa carte d’identité, le portefeuille de ses travaux, qui témoignent de son cheminement.
Ce support va impliquer l’étudiant, mais aussi tous les professionnels, dans une autre dynamique et permet à chacun de :
- visualiser le fil conducteur des apprentissages,
- formuler un parcours de stage personnalisé au vue des compétences encore à acquérir,
- répondre à une demande particulière et singulière,
- développer les compétences « cœur de métier et transversales »,
- faire des choix et les argumenter,
- valoriser la progression de l’apprentissage.
Alors, encore sceptique ?
Il reste certes encore du chemin à faire. Mais ne voyons pas cette nouvelle formation comme une surcharge de travail, mais plutôt comme un levier de la profession. N’oublions pas que c’est par un travail commun autour de l’activité soignante que le métier progressera.
Mais pour que le métier évolue, l’état d’esprit doit lui aussi évoluer. Ainsi pour l’étudiant, le portfolio servira non seulement à visualiser le fil conducteur de ses apprentissages, à faire ses choix et à les argumenter mais encore à renforcer son potentiel.
Le fait qu’il y ait traçabilité et valorisation de sa progression ne peut qu’aider l’étudiant dans son développement tant professionnel que personnel. Mais là est une autre question que nous vous proposons de traiter lors d’un prochain article.
En attendant, bon courage pour le portfolio
Bibliographie
- Baudrit. A, Tuteur : une place, des fonctions, un métier ? Ed. PUF, 1999
- Desjardins, Richard, le portfolio de développement professionnel continu
- Jalbert P, “Le portfolio scolaire : une autre façon d’évaluer les apprentissages”, Vie pédagogique, n°103, p31-33, avril-mai 1997
- Tardif J., Le transfert des apprentissages – Montréal – Ed. Logiques – 222 p., 1999
- Schon D.a., Le praticien réflexif. A la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel. Ed. Logiques, 1992
Isabelle BAYLE
Cadre de santé formateur
Master 2 en ingénierie de la formation et des compétences
Centre hospitalier de SAVERNE (67)
Rédacteur infirmiers.com
isabelle.bayle@ch-saverne.fr
Véronique MAISCH
Cadre de santé formateur
Validation de l’Unité de Formation 4 du DURF
Centre hospitalier de SAVERNE (67)
veronique.maisch@ch-saverne.fr
REFONTE DE LA FORMATION
L'idée d'un tronc commun en master hérisse les infirmiers spécialisés
ÉTUDES
D’infirmier à médecin : pourquoi et comment ils ont franchi le pas
VIE ÉTUDIANTE
FNESI'GAME : l'appli qui aide les étudiants infirmiers à réviser
PRÉVENTION
Des ateliers pour préserver la santé des étudiants en santé